Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rah. Les maisons en sont basses, les rues étroites, les boutiques pauvres, les mosquées chétives. Le peuple, qui se montre peu au dehors, a quelque chose de hagard et de sauvage. On rencontre sous les portes de la ville ce qu’on appelle des siddi ou des saints : ce sont des négresses et des nègres tout nus, dévorés par la vermine, vautrés dans leurs ordures et mangeant insolemment le pain de la charité. Ces sales créatures sont sous la protection immédiate de Mahomet. Des marchands européens, des Turcs enrôlés à Smyrne, des Maures dégénérés, des renégats et des captifs, composent le reste de la population.

La campagne aux environs de Tunis est agréable : elle présente de grandes plaines semées de blé et bordées de collines qu’ombragent des oliviers et des caroubiers. Un aqueduc moderne, d’un bon effet, traverse une vallée derrière la ville. Le bey a sa maison de campagne au fond de cette vallée. De Tunis même on découvre, au midi, les collines dont j’ai parlé. On voit à l’orient les montagnes du Mamélife : montagnes singulièrement déchirées, d’une figure bizarre et au pied desquelles se trouvent les eaux chaudes connues des anciens. A l’ouest et au Nord on aperçoit la mer, le port de La Goulette et les ruines de Carthage.

Les Tunisiens sont cependant moins cruels et plus civilisés que les peuples d’Alger. Ils ont recueilli les Maures d’Andalousie, qui habitent le village de Tub-Urbo, à six lieues de Tunis, sur la Me-Jerdah 2. . Le bey actuel est un homme habile : il cherche à se tirer de la dépendance d’Alger, à laquelle Tunis est soumise depuis la conquête qu’en firent les Algériens en 1757. Ce prince parle italien, cause avec esprit et entend mieux la politique de l’Europe que la plupart des Orientaux. On sait au reste que Tunis fut attaquée par saint Louis en 1270 et prise par Charles Quint en 1535. Comme la mort de saint Louis se lie à l’histoire de Carthage, j’en parlerai ailleurs. Quant à Charles Quint, il défit le fameux Barberousse et rétablit le roi de Tunis sur son trône, en l’obligeant toutefois à payer un tribut à l’Espagne : on peut consulter à ce sujet l’ouvrage de Robertson 3. . Charles Quint garda le fort de La Goulette, mais les Turcs le reprirent en 1574.

Je ne dis rien de la Tunis des anciens, parce qu’on va la voir figurer à l’instant dans les guerres de Rome et de Carthage.

Au reste, on m’a fait présent à Tunis d’un manuscrit qui traite de l’état actuel de ce royaume, de son gouvernement, de son commerce,