Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/471

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ouest de l’isthme de Carthage n’a pas, soit le long de la mer, soit dans l’El-Mersa, la moindre sinuosité qui put servir d’abri à un bateau. Pour trouver le Cothon dans cette position, il faut avoir recours à une espèce de trou qui, de l’aveu de Shaw, n’occupe pas cent verges en carré. Sur la mer du sud-est, au contraire, vous rencontrez de longues levées, des voûtes qui peuvent avoir été les magasins, ou même les loges des galères ; vous voyez des canaux creusés de main d’hommes, un bassin intérieur assez grand pour contenir les barques des anciens, et au milieu de ce bassin une petite île.

L’histoire vient à mon secours. Scipion l’Africain était occupé à fortifier Tunis lorsqu’il vit des vaisseaux sortir de Carthage pour attaquer la flotte romaine à Utique (Tite-Live, liv. X). Si le port de Carthage avait été au nord, de l’autre côté de l’isthme, Scipion, placé à Tunis, n’aurait pas pu découvrir les galères des Carthaginois ; la terre cache dans cette partie le golfe d’Utique. Mais si l’on place le port au sud-est, Scipion vit et dut voir appareiller les ennemis.

Quand Scipion l’Emilien entreprit de fermer le port extérieur, il fit commencer la jetée à la pointe du cap de Carthage (App.). Or, le cap de Carthage est à l’orient, sur la baie même de Tunis. Appien ajoute que cette pointe de terre était près du port ; ce qui est vrai si le port était au sud-est, ce qui est faux si le port se trouvait au nord-ouest. Une chaussée conduite de la plus longue pointe de l’isthme de Carthage pour enclore au nord-ouest ce qu’on appelle l’ El-Mersa est une chose absurde à supposer.

Enfin, après avoir pris le Cothon, Scipion attaqua Byrsa, ou la citadelle (Appien) ; le Cothon était donc au-dessous de la citadelle : or, celle-ci était bâtie sur la plus haute colline de Carthage, colline que l’on voit entre le midi et l’orient. Le Cothon placé au nord-ouest aurait été trop éloigné de Byrsa, tandis que le bassin que j’indique est précisément au pied de la colline du sud-est.

Si je m’étends sur ce point plus qu’il n’est nécessaire à beaucoup de lecteurs, il y en a d’autres aussi qui prennent un vif intérêt aux souvenirs de l’histoire, et qui ne cherchent dans un ouvrage que des faits et des connaissances positives. N’est-il pas singulier que dans une ville aussi fameuse que Carthage on en soit à chercher l’emplacement même de ses ports, et que ce qui fit sa principale gloire soit précisément ce qui est le plus oublié ?

Shaw me semble avoir été plus heureux à l’égard du port marqué dans le premier livre de l’ Enéide. Quelques savants ont cru que ce port était une création du poète ; d’autres ont pensé que Virgile avait eu l’intention de représenter ou le port d’Ithaque ou celui de Carthagène,