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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/112

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modifier les idées et rectifier les jugements de l’écrivain. Avant de passer aux mœurs des sauvages, je mettrai sous les yeux des lecteurs quelques esquisses de l’histoire naturelle de l’Amérique septentrionale.


HISTOIRE NATURELLE.

CASTORS.

Quand on voit pour la première fois les ouvrages des castors, on ne peut s’empêcher d’admirer celui qui enseigna à une pauvre petite bête l’art des architectes de Babylone, et qui souvent envoie l’homme, si fier de son génie, à l’école d’un insecte.

Ces étonnantes créatures ont-elles rencontré un vallon où coule un ruisseau, elles barrent ce ruisseau par une chaussée ; l’eau monte et remplit bientôt l’intervalle qui se trouve entre les deux collines : c’est dans ce réservoir que les castors bâtissent leurs habitations. Détaillons la construction de la chaussée.

Des deux flancs opposés des collines qui forment la vallée commence un rang de palissades entrelacées de branches et revêtues de mortier. Ce premier rang est fortifié d’un second rang placé à quinze pieds en arrière du premier. L’espace entre les deux palissades est comblé avec de la terre.

La levée continue de venir ainsi des deux côtés de la vallée, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une ouverture d’une vingtaine de pieds au centre ; mais à ce centre l’action du courant opérant dans toute son énergie, les ingénieurs changent de matériaux : ils renforcent le milieu de leurs substructions hydrauliques de troncs d’arbres entassés les uns sur les autres, et liés ensemble par un ciment semblable à celui des palissades. Souvent la digue entière a cent pieds de long, quinze de haut et douze de large à la base ; diminuant d’épaisseur dans une proportion mathématique à mesure qu’elle s’élève, elle n’a plus que trois pieds de surface au plan horizontal qui la termine.

Le côté de la chaussée opposé à l’eau se retire graduellement en talus ; le côté extérieur garde un parfait aplomb.

Tout est prévu : le castor sait par la hauteur de la levée combien il doit bâtir d’étages à sa maison future ; il sait qu’au delà d’un certain