Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/125

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placement dans quelque vallon solitaire, auprès d’un ruisseau ou d’une fontaine, et sous les bois qui la peuvent cacher.

Les sauvages sont tous, comme les héros d’Homère, des médecins, des cuisiniers et des charpentiers. Pour construire la hutte du mariage, on enfonce dans la terre quatre poteaux, ayant un pied de circonférence et douze pieds de haut : ils sont destinés à marquer les quatre angles d’un parallélogramme de vingt pieds de long sur dix-huit de large. Des mortaises creusées dans ces poteaux reçoivent des traverses, lesquelles forment, quand leurs intervalles sont remplis avec de la terre, les quatre murailles de la cabane.

Dans les deux murailles longitudinales on pratique deux ouvertures : l’une sert d’entrée à tout l’édifice, l’autre conduit dans une seconde chambre semblable à la première, mais plus petite.

On laisse le prétendu poser seul les fondements de sa demeure ; mais il est aidé dans la suite du travail par ses compagnons. Ceux-ci arrivent chantant et dansant ; ils apportent des instruments de maçonnerie faits de bois ; l’omoplate de quelque grand quadrupède leur sert de truelle. Ils frappent dans la main de leur ami, sautent sur ses épaules, font des railleries sur son mariage, et achèvent la cabane. Montés sur les poteaux et les murs commencés, ils élèvent le toit d’écorce de bouleau ou de chaume de maïs ; mêlant du poil de bête fauve et de la paille de folle-avoine hachée dans de l’argile rouge, ils enduisent de ce mastic les murailles à l’extérieur et à l’intérieur. Au centre ou à l’une des extrémités de la grande salle, les ouvriers plantent cinq longues perches, qu’ils entourent d’herbe sèche et de mortier : cette espèce de cône devient la cheminée, et laisse échapper la fumée par une ouverture ménagée dans le toit. Tout ce travail se fait au milieu des brocards et des chants satiriques : la plupart de ces chants sont grossiers ; quelques-uns ne manquent pas d’une certaine grâce :

« La lune cache son front sous un nuage ; elle est honteuse, elle rougit ; c’est qu’elle sort du lit du soleil. Ainsi se cachera et rougira… le lendemain de ses noces, et nous lui dirons : Laisse-nous donc voir tes yeux. »

Les coups de marteau, le bruit des truelles, le craquement des branches rompues, les ris, les cris, les chansons, se font entendre au loin, et les familles sortent de leurs villages pour prendre part à ces ébattements.

La cabane étant terminée en dehors, on la lambrisse en dedans avec du plâtre quand le pays en fournit, avec de la terre glaise au défaut de plâtre. On pèle le gazon resté dans l’intérieur de l’édifice : les