Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/139

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sont une fête continuelle. Chaque matin on se rend au bois d’érables, ordinairement arrosé par un courant d’eau. Des groupes d’Indiens et d’Indiennes sont dispersés au pied des arbres ; des jeunes gens dansent et jouent à différents jeux ; des enfants se baignent sous les yeux des sachems. À la gaieté de ces sauvages, à leur demi-nudité, à la vivacité des danses, aux luttes non moins bruyantes des baigneurs, à la mobilité et à la fraîcheur des eaux, à la vieillesse des ombrages, on croirait assister à l’une de ces scènes de Faunes et de Dryades décrites par les poëtes.

Tum vero in numerum Faunosque ferasque videres
Ludere.

PÊCHES.

Les sauvages sont aussi habiles à la pêche qu’adroits à la chasse : ils prennent le poisson avec des hameçons et des filets ; ils savent aussi épuiser les viviers. Mais ils ont de grandes pêches publiques. La plus célèbre de toutes ces pêches étoit celle de l’esturgeon, qui avoit lieu sur le Mississipi et sur ses affluents.

Elle s’ouvroit par le mariage du filet. Six guerriers et six matrones portant ce filet s’avançoient au milieu des spectateurs sur la place publique, et demandoient en mariage pour leur fils, le filet, deux jeunes filles qu’ils désignoient.

Les parents des jeunes filles donnoient leur consentement, et les jeunes filles et le filet étoient mariés par le jongleur avec les cérémonies d’usage : le doge de Venise épousoit la mer !

Des danses de caractère suivoient le mariage. Après les noces du filet on se rendoit au fleuve, au bord duquel étoient assemblés les canots et les pirogues. Les nouvelles épouses, enveloppées dans le filet, étoient portées à la tête du cortège : on s’embarquoit après s’être muni de flambeaux de pin et de pierres pour battre le feu. Le filet, ses femmes, le jongleur, le grand-chef, quatre sachems, huit guerriers pour manier les rames, montoient une grande pirogue qui prenoit le devant de la flotte.

La flotte cherchoit quelque baie fréquentée par l’esturgeon. Chemin faisant, on pêchoit toutes les autres sortes de poissons : la truite, avec la seine, le poisson-armé, avec l’hameçon. On frappe l’esturgeon d’un dard attaché à une corde, laquelle est nouée à la barre intérieure du canot. Le poisson frappé fuit en entraînant le canot ; mais peu à peu sa fuite se ralentit, et il vient expirer à la surface de l’eau. Les diffé-