Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/150

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Le malade ordonne lui-même le repas funèbre : tout ce qui reste de vivres dans la cabane se doit consommer. On commence à égorger les chiens, afin qu’ils aillent avertir le Grand-Esprit de la prochaine arrivée de leur maître. À travers ces puérilités, la simplicité avec laquelle un sauvage accomplit le dernier acte de la vie a pourtant quelque chose de grand.

En déclarant que le malade va mourir, le jongleur met sa science à l’abri des événements et fait admirer son art si le malade recouvre la santé.

Quand il s’aperçoit que le danger est passé, il n’en dit rien, et commence ses adjurations.

Il prononce d’abord des mots que personne ne comprend ; puis il s’écrie : « Je découvrirai le maléfice ; je forcerai Kitchi-Manitou à fuir devant moi. »

Il sort de la hutte ; les parents le suivent ; il court s’enfoncer dans la cabane des sueurs pour recevoir l’inspiration divine. Rangés dans une muette terreur autour de l’étuve, les parents entendent le prêtre qui hurle, chante, crie en s’accompagnant d’un chichikoué. Bientôt il sort tout nu par le soupirail de la hutte, l’écume aux lèvres et les yeux tors : il se plonge, dégouttant de sueur, dans une eau glacée, se roule par terre, fait le mort, ressuscite, vole à sa hutte en ordonnant aux parents d’aller l’attendre à celle du malade.

Bientôt on le voit revenir, tenant un charbon à moitié allumé dans sa bouche et un serpent dans sa main.

Après de nouvelles contorsions autour du malade, il laisse tomber le charbon et s’écrie : « Réveille-toi, je te promets la vie ; le Grand-Esprit m’a fait connoître le sort qui te faisoit mourir. » Le forcené se jette sur le bras de sa dupe, le déchire avec les dents, et ôtant de sa bouche un petit os qu’il y tenoit caché : « Voilà, s’écrie-t-il, le maléfice que j’ai arraché de ta chair ! » Alors le prêtre demande un chevreuil et des truites pour en faire un repas, sans quoi le malade ne pourroit guérir : les parents sont obligés d’aller sur-le-champ à la chasse et à la pêche.

Le médecin mange le dîner ; cela ne suffit pas. Le malade est menacé d’une rechute, si l’on n’obtient, dans une heure, le manteau d’un chef qui réside à deux ou trois journées de marche du lieu de la scène. Le jongleur le sait ; mais comme il prescrit à la fois la règle et donne les dispenses, moyennant quatre ou cinq manteaux profanes fournis par les parents, il les tient quittes du manteau sacré réclamé par le ciel.

Les fantaisies du malade, qui revient tout naturellement à la vie,