Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/169

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de poudre et de balles. Les Cimbres, les Teutons et les Francs essayoient ainsi de se rendre formidables aux yeux des Romains.

Le chef de guerre sort de l’étuve, un collier de porcelaine rouge à la main, et adresse un discours à ses frères d’armes : « Le Grand-Esprit ouvre ma bouche. Le sang de nos proches tués dans la dernière guerre n’a point été essuyé ; leurs corps n’ont point été recouverts : il faut aller les garantir des mouches. Je suis résolu de marcher par le sentier de la guerre ; j’ai vu des ours dans mes songes ; les bons manitous m’ont promis de m’assister, et les mauvais ne me seront pas contraires : j’irai donc manger les ennemis, boire leur sang, faire des prisonniers. Si je péris, ou si quelques-uns de ceux qui consentent à me suivre perdent la vie, nos âmes seront reçues dans la contrée des esprits ; nos corps ne resteront pas couchés dans la poussière ou dans la boue, car ce collier rouge appartiendra à celui qui couvrira les morts. »

Le chef jette le collier à terre ; les guerriers les plus renommés se précipitent pour le ramasser : ceux qui n’ont point encore combattu, ou qui n’ont qu’une gloire commune, n’osent disputer le collier. Le guerrier qui le relève devient le lieutenant général du chef ; il le remplace dans le commandement si ce chef périt dans l’expédition.

Le guerrier possesseur du collier fait un discours. On apporte de l’eau chaude dans un vase. Les jeunes gens lavent le chef de guerre et lui enlèvent la couleur noire dont il est couvert ; ensuite ils lui peignent les joues, le front, la poitrine, avec des craies et des argiles de différentes teintes, et le revêtent de sa plus belle robe.

Pendant cette ovation, le chef chante à demi-voix cette fameuse chanson de mort que l’on entonne lorsqu’on va subir le supplice du feu :

« Je suis brave, je suis intrépide, je ne crains point la mort ; je me ris des tourments ; qu’ils sont lâches ceux qui les redoutent ! des femmes, moins que des femmes ! Que la rage suffoque mes ennemis ! puissé-je les dévorer et boire leur sang jusqu’à la dernière goutte ! »

Quand le chef a achevé la chanson de mort, son lieutenant général commence la chanson de guerre :

« Je combattrai pour la patrie ; j’enlèverai des chevelures ; je boirai dans le crâne de mes ennemis, etc. »

Chaque guerrier, selon son caractère, ajoute à sa chanson des détails plus ou moins atroces. Les uns disent : « Je couperai les doigts de mes ennemis avec les dents ; je leur brûlerai les pieds et ensuite les jambes. » Les autres disent : « Je laisserai les vers se mettre dans