Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/174

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leurs hauts faits ; plus ils se vantent, plus on les félicite : rien n’est noble, rien n’est beau comme eux ; ils ont toutes les qualités et toutes les vertus. Celui qui se disoit au-dessus de tout le monde applaudit à celui qui déclare le surpasser en mérite. Les Spartiates avoient encore cette coutume : ils pensoient que l’homme qui se donne en public des louanges prend un engagement de les mériter.

Peu à peu tous les guerriers quittent leur place pour se mêler aux danses ; on exécute des marches au bruit du tambourin, du fifre et du chichikoué. Le mouvement augmente ; on imite les travaux d’un siège, l’attaque d’une palissade : les uns sautent comme pour franchir un fossé, les autres semblent se jeter à la nage ; d’autres présentent la main à leurs compagnons pour les aider à monter à l’assaut. Les casse-têtes retentissent contre les casse-têtes ; le chichikoué précipite la marche ; les guerriers tirent leurs poignards ; ils commencent à tourner sur eux-mêmes, d’abord lentement, ensuite plus vite, et bientôt avec une telle rapidité, qu’ils disparoissent dans le cercle qu’ils décrivent : d’horribles cris percent la voûte du ciel. Le poignard que ces hommes féroces se portent à la gorge avec une adresse qui fait frémir, leur visage noir ou bariolé, leurs habits fantastiques, leurs longs hurlements, tout ce tableau d’une guerre sauvage inspire la terreur.

Épuisés, haletants, couverts de sueur, les acteurs terminent la danse, et l’on passe à l’épreuve des jeunes gens. On les insulte, on leur fait des reproches outrageants, on répand des cendres brûlantes sur leurs cheveux, on les frappe avec des fouets, on leur jette des tisons à la tête ; il leur faut supporter ces traitements avec la plus parfaite insensibilité. Celui qui laisseroit échapper le moindre signe d’impatience seroit déclaré indigne de lever la hache.

Le troisième et dernier banquet du chien sacré couronne ces diverses cérémonies : il ne doit durer qu’une demi-heure. Les guerriers mangent en silence ; le chef les préside ; bientôt il quitte le festin. À ce signal les convives courent aux bagages, et prennent les armes. Les parents et les amis les environnent sans prononcer une parole ; la mère suit des regards son fils occupé à charger les paquets sur les traîneaux ; on voit couler des larmes muettes. Des familles sont assises à terre ; quelques-unes se tiennent debout ; toutes sont attentives aux occupations du départ ; on lit, écrite sur tous les fronts, cette même question faite antérieurement par diverses tendresses : « Si je n’allois plus le revoir ! »

Enfin le chef de guerre sort, complètement armé, de sa cabane. La troupe se forme dans l’ordre militaire : le grand jongleur, portant les