Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/181

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mains. Ils montent sur les plus hauts arbres ; quand ils ont découvert les huttes hostiles, ils se hâtent de revenir au camp, et de rendre compte au chef de la position de l’ennemi. Si cette position est forte, on examine par quel stratagème on pourra la lui faire abandonner.

Un des stratagèmes les plus communs est de contrefaire le cri des bêtes fauves. Des jeunes gens se dispersent dans les taillis, imitant le bramement des cerfs, le mugissement des buffles, le glapissement des renards. Les sauvages sont accoutumés à cette ruse ; mais telle est leur passion pour la chasse, et telle est la parfaite imitation de la voix des animaux, qu’ils sont continuellement pris à ce leurre. Ils sortent de leur camp, et tombent dans des embuscades. Ils se rallient, s’ils le peuvent, sur un terrain défendu par des obstacles naturels, tels qu’une chaussée dans un marais, une langue de terre entre deux lacs.

Cernés dans ce poste, on les voit alors, au lieu de chercher à se faire jour, s’occuper paisiblement de différents jeux, comme s’ils étoient dans leurs villages. Ce n’est jamais qu’à la dernière extrémité que deux troupes d’Indiens se déterminent à une attaque de vive force ; elles aiment mieux lutter de patience et de ruse ; et comme ni l’une ni l’autre n’a de provisions, ou ceux qui bloquent un défilé sont contraints à la retraite, ou ceux qui y sont enfermés sont obligés de s’ouvrir un passage.

La mêlée est épouvantable ; c’est un grand duel comme dans les combats antiques : l’homme voit l’homme. Il y a dans le regard humain animé par la colère quelque chose de contagieux, de terrible qui se communique. Les cris de mort, les chansons de guerre, les outrages mutuels font retentir le champ de bataille ; les guerriers s’insultent comme les héros d’Homère ; ils se connoissent tous par leur nom : « Ne te souvient-il plus, se disent-ils, du jour où tu désirois que tes pieds eussent la vitesse du vent pour fuir devant ma flèche ! Vieille femme ! te ferai-je apporter de la sagamité nouvelle et de la cassine brûlante dans le nœud du roseau ? — Chef babillard, à la large bouche ! répondent les autres, on voit bien que tu es accoutumé à porter le jupon ; ta langue est comme la feuille du tremble, elle remue sans cesse. »

Les combattants se reprochent ainsi leurs imperfections naturelles : ils se donnent le nom de boiteux, de louche, de petit ; ces blessures faites à l’amour-propre augmentent leur rage. L’affreuse coutume de scalper l’ennemi augmente la férocité du combat. On met le pied sur le cou du vaincu : de la main gauche on saisit le toupet de cheveux que les Indiens gardent sur le sommet de la tête ; de la main droite