Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/190

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Les chefs des tribus et des divisions de tribu tirent leur nom de quelque qualité, de quelque défaut de leur esprit ou de leur personne, de quelque circonstance de leur vie. Ainsi l’un s’appelle le bison blanc, l’autre la jambe cassée, la bouche plate, le jour sombre, le dardeur, la belle voix, le tueur de castors, le cœur de feu, etc.

Il en fut ainsi dans la Grèce : à Rome, Coclés tira son nom de ses yeux rapprochés, ou de la perte de son œil, et Cicéron, de la verrue ou de l’industrie de son aïeul. L’histoire moderne compte ses rois et ses guerriers, Chauve, Bègue, Roux, Boiteux, Martel ou marteau, Capet ou grosse-tête, etc.

Les conseils des nations indiennes se composent des chefs des tribus, des chefs militaires, des matrones, des orateurs, des prophètes ou jongleurs, des médecins ; mais ces conseils varient selon la constitution des peuples.

Le spectacle d’un conseil de sauvages est très-pittoresque. Quand la cérémonie du calumet est achevée, un orateur prend la parole. Les membres du conseil sont assis ou couchés à terre dans diverses attitudes : les uns, tout nus, n’ont pour s’envelopper qu’une peau de buffle ; les autres, tatoués de la tête aux pieds, ressemblent à des statues égyptiennes ; d’autres entremêlent à des ornements sauvages, à des plumes, à des becs d’oiseau, à des griffes d’ours, à des cornes de buffle, à des os de castor, à des dents de poisson, entremêlent, dis-je, des ornements européens. Les visages sont bariolés de diverses couleurs, ou peinturés de blanc ou de noir. On écoute attentivement l’orateur ; chacune de ses pauses est accueillie par le cri d’applaudissement oah ! oah !

Des nations aussi simples ne devroient avoir rien à débattre en politique ; cependant il est vrai qu’aucun peuple civilisé ne traite plus de choses à la fois. C’est une ambassade à envoyer à une tribu pour la féliciter de ses victoires, un pacte d’alliance à conclure ou à renouveler, une explication à demander sur la violation d’un territoire, une députation à faire partir pour aller pleurer sur la mort d’un chef, un suffrage à donner dans une diète, un chef à élire, un compétiteur à écarter, une médiation à offrir ou à accepter pour faire poser les armes à deux peuples, une balance à maintenir, afin que telle nation ne devienne pas trop forte et ne menace pas la liberté des autres. Toutes ces affaires sont discutées avec ordre ; les raisons pour et contre sont déduites avec clarté. On a connu des sachems qui possédoient à fond toutes ces matières, et qui parloient avec une profondeur de vue et de jugement dont peu d’hommes d’État en Europe seroient capables.