Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/230

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Enfin, l’indépendance des colonies espagnoles n’est pas encore reconnue par la mère-patrie. Cette résistance passive du cabinet de Madrid a beaucoup plus de force et d’inconvénient qu’on ne se l’imagine ; le droit est une puissance qui balance longtemps le fait, alors même que les événements ne sont pas en faveur du droit : notre restauration l’a prouvé. Si l’Angleterre, sans faire la guerre aux États-Unis, s’étoit contentée de ne pas reconnoître leur indépendance, les États-Unis seroient-ils ce qu’ils sont aujourd’hui ?

Plus les républiques espagnoles ont rencontré et rencontreront encore d’obstacles dans la nouvelle carrière où elles s’avancent, plus elles auront de mérite à les surmonter. Elles renferment dans leurs vastes limites tous les éléments de prospérité : variété de climat et de sol, forêts pour la marine, ports pour les vaisseaux, double océan qui leur ouvre le commerce du monde. La nature a tout prodigué à ces républiques ; tout est riche en dehors et en dedans de la terre qui les porte ; les fleuves fécondent la surface de cette terre, et l’or en fertilise le sein. L’Amérique espagnole a donc devant elle un propice avenir ; mais lui dire qu’elle peut y atteindre sans efforts, ce seroit la décevoir, l’endormir dans une sécurité trompeuse : les flatteurs des peuples sont aussi dangereux que les flatteurs des rois. Quand on se crée une utopie, on ne tient compte ni du passé, ni de l’histoire, ni des faits, ni des mœurs, ni du caractère, ni des préjugés, ni des passions : enchanté de ses propres rêves, on ne se prémunit point contre les événements, et l’on gâte les plus belles destinées.

J’ai exposé avec franchise les difficultés qui peuvent entraver la liberté des républiques espagnoles, je dois indiquer également les garanties de leur indépendance.

D’abord l’influence du climat, le défaut de chemins et de culture rendroient infructueux les efforts que l’on tenteroit pour conquérir ces républiques. On pourroit occuper un moment le littoral, mais il seroit impossible de s’avancer dans l’intérieur.

La Colombie n’a plus sur son territoire d’Espagnols proprement dits ; on les appeloit les Goths : ils ont péri ou ils ont été expulsés. Au Mexique, on vient de prendre des mesures contre les natifs de l’ancienne mère-patrie.

Tout le clergé dans la Colombie est américain ; beaucoup de prêtres, par une infraction coupable à la discipline de l’Église, sont pères de famille comme les autres citoyens ; ils ne portent même pas l’habit de leur ordre. Les mœurs souffrent sans doute de cet état de choses ; mais il en résulte aussi que le clergé, tout catholique qu’il est, craignant des relations plus intimes avec la cour de Rome, est favorable à l’éman-