Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/232

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triste exemple. Couronné de succès, je serois sorti de la manière la plus brillante du ministère, pour livrer au repos le reste de ma vie.

Ce sont les intérêts de ces colonies espagnoles, desquelles mon sujet m’a conduit à parler, qui ont produit le dernier bond de ma quinteuse fortune. Je puis dire que je me suis sacrifié à l’espoir d’assurer le repos et l’indépendance d’un grand peuple.

Quand je songeai à la retraite, des négociations importantes avoient été poussées très-loin ; j’en avois établi et j’en tenois les fils ; je m’étois formé un plan que je croyois utile aux deux Mondes ; je me flattois d’avoir posé une base où trouveroient place à la fois et les droits des nations, l’intérêt de ma patrie et celui des autres pays. Je ne puis expliquer les détails de ce plan, on sent assez pourquoi.

En diplomatie, un projet conçu n’est pas un projet exécuté : les gouvernements ont leur routine et leur allure ; il faut de la patience : on n’emporte pas d’assaut des cabinets étrangers comme M. le Dauphin prenoit des villes ; la politique ne marche pas aussi vite que la gloire à la tête de nos soldats. Résistant par malheur à ma première inspiration, je restai afin d’accomplir mon ouvrage. Je me figurai que l’ayant préparé je le connoîtrois mieux que mon successeur ; je craignis aussi que le portefeuille ne fût pas rendu à M. de Montmorency et qu’un autre ministre n’adoptât quelque système suranné pour les possessions espagnoles. Je me laissai séduire à l’idée d’attacher mon nom à la liberté de la seconde Amérique, sans compromettre cette liberté dans les colonies émancipées et sans exposer le principe monarchique des États européens.

Assuré de la bienveillance des divers cabinets du continent, un seul excepté, je ne désespérois pas de vaincre la résistance que m’opposoit en Angleterre l’homme d’État qui vient de mourir ; résistance qui tenoit moins à lui qu’à la mercantile fort mal entendue de sa nation. L’avenir connoîtra peut-être la correspondance particulière qui eut lieu sur ce grand sujet entre moi et mon illustre ami. Comme tout s’enchaîne dans les destinées d’un homme, il est possible que M. Canning, en s’associant à des projets d’ailleurs peu différents des siens, eût trouvé plus de repos, et qu’il eût évité les inquiétudes politiques qui ont fatigué ses derniers jours. Les talents se hâtent de disparoître ; il s’arrange une toute petite Europe à la guise de la médiocrilé ; pour arriver aux générations nouvelles, il faudra traverser un désert.

Quoi qu’il en soit, je pensois que l’administration dont j’étois membre me laisseroit achever un édifice qui ne pouvoit que lui faire