Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/240

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battant, un morceau d’une grande cloche, un anneau, une lame d’épée, une pipe, un loquet de porte, des grains de verroterie et plusieurs autres petits objets. Toutes ces choses prouvent des communications avec l’Europe ; et d’après les efforts visibles qui ont été faits pour rendre les canons de fusil inutiles en les limant, on ne peut guère douter que les Européens qui s’étoient établis dans ce lieu n’aient été défaits et chassés du pays par les Indiens.

Près des restes de cette ville, j’ai observé une grande forêt qui précédemment étoit un terrain nu et cultivé. Voici les circonstances qui me firent tirer cette conséquence : il ne s’y trouvoit ni tertres, ni buttes, qui sont toujours produits par les arbres déracinés ou tombant de vétusté, point de souches, point de sous-bois ; les arbres étoient âgés en général de cinquante à soixante ans. Or, il faut qu’un très-grand nombre d’années s’écoule avant qu’un pays se couvre de bois ; ce n’est que lentement que les vents et les oiseaux apportent des graines. Le Township de Pompey abonde en forêts qui sont d’une nature semblable à celle dont je viens de parler : quelques-unes ont quatre milles de long et deux de large. Elle renferme un grand nombre de lieux de sépulture : je l’ai entendu estimer à quatre-vingts. Si la population blanche de ce pays étoit emportée tout entière, peut-être dans la suite des siècles offriroit-il des particularités analogues à celles que je décris.

Il me paroît qu’il y a deux ères distinctes dans nos antiquités : l’une comprend les restes d’anciennes fortifications et d’établissements qui existoient antérieurement à l’arrivée des Européens ; l’autre se rapporte aux établissements et aux opérations des Européens ; et comme les blancs, de même que les Indiens, devoient fréquemment avoir recours à ces vieilles fortifications, pour y trouver un asile, y demeurer ou y chasser, elles doivent nécessairement renfermer plusieurs objets de manufactures d’Europe ; c’est ce qui a donné lieu à beaucoup de confusion, parce qu’on a mêlé ensemble des périodes extrêmement éloignées l’une de l’autre.

Les François avoient vraisemblablement des établissements considérables sur le territoire des six nations. Le Père du Creux, jésuite, raconte, dans son Histoire du Canada, qu’en 1655 les François établirent une colonie dans le territoire d’Onondaga ; et voici comme il décrit ce pays singulièrement fertile et intéressant : « Deux jours après, le Père Chaumont fut mené par une troupe nombreuse à l’endroit destiné à l’établissement et à la demeure des François : c’étoit à quatre lieues du village où il s’étoit d’abord arrêté. Il est difficile de voir quelque chose de mieux soigné par la nature, et si l’art y eût, comme