Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/314

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Les temps varient, et les destinées humaines ont la même inconstance. La vie, dit la chanson grecque, fuit comme la roue d’un char :

Τροχὁς ἄρματος γἁρ οἶα
Βίοτος τρέχει κυλισθεἱς.

Pline a perdu la vie pour avoir voulu contempler de loin le volcan dans le cratère duquel je suis tranquillement assis. Je regarde fumer l’abîme autour de moi. Je songe qu’à quelques toises de profondeur j’ai un gouffre de feu sous mes pieds ; je songe que le volcan pourroit s’ouvrir et me lancer en l’air avec des quartiers de marbre fracassés.

Quelle providence m’a conduit dans ce lieu ? Par quel hasard les tempêtes de l’océan américain m’ont-elles jeté aux champs de Lavinie : Lavinaque venit littora ? Je ne puis m’empêcher de faire un retour sur les agitations de cette vie, « où les choses, dit saint Augustin, sont pleines de misères, l’espérance vide de bonheur : rem plenam miseriæ, spem beatitudis inanem. » Né sur les rochers de l’Armorique, le premier bruit qui a frappé mon oreille en venant au monde est celui de la mer ; et sur combien de rivages n’ai-je pas vu depuis se briser ces mêmes flots que je retrouve ici ?

Qui m’eût dit il y a quelques années que j’entendrois gémir aux tombeaux de Scipion et de Virgile ces vagues qui se dérouloient à mes pieds, sur les côtes de l’Angleterre, ou sur les grèves du Maryland ? Mon nom est dans la cabane du sauvage de la Floride ; le voilà sur le livre de l’ermite du Vésuve. Quand déposerai-je à la porte de mes pères le bâton et le manteau du voyageur ?

O patria ! o divum domus Ilium !


PATRIA, OU LITERNE.

6 janvier 1804.

Sorti de Naples par la grotte du Pausilippe, j’ai roulé une heure en calèche dans la campagne ; après avoir traversé de petits chemins ombragés, je suis descendu de voiture pour chercher à pied Patria, l’ancienne Literne. Un bocage de peupliers s’est d’abord présenté à