Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/33

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pouvoient porter quelques hommes à revendiquer un honneur qui certes étoit digne d’envie ; les Vénitiens réclamoient Estotiland pour Venise, comme les Norvégiens Vinland pour Berghen.

Plusieurs cartes du xive et du xve siècle présentent des découvertes faites ou à faire dans la grande mer, au sud-ouest et à l’ouest de l’Europe. Selon les historiens génois, Doria et Vivaldi mirent à la voile dans le dessein de se rendre aux Indes par l’occident, et ils ne revinrent plus. L’île de Madère se rencontre sur un portulan espagnol de 1384, sous le nom d’isola di Leguame. Les îles Açores paroissent aussi dès l’an 1380. Enfin, une carte tracée en 1436 par André Bianco, Vénitien, dessine à l’occident des îles Canaries une terre d’Antilla , et au nord de ces Antilles une autre île appelée isola de la Man Satanaxio.

On a voulu faire de ces îles les Antilles et Terre-Neuve ; mais l’on sait que Marc-Paul prolongeoit l’Asie au sud-est, et plaçoit devant elle un archipel qui, s’approchant de notre continent par l’ouest, devoit se trouver pour nous à peu près dans la position de l’Amérique. C’est en cherchant ces Antilles indiennes, ces Indes occidentales, que Colomb découvrit l’Amérique : une prodigieuse erreur enfanta une miraculeuse vérité.

Les Arabes ont eu quelque prétention à la découverte de l’Amérique : les frères Almagurins, de Lisbonne, pénétrèrent, dit-on, aux terres les plus reculées de l’occident. Un manuscrit arabe raconte une tentative infructueuse dans ces régions où tout étoit ciel et eau.

Ne disputons point à un grand homme l’œuvre de son génie. Qui pourroit dire ce que sentit Christophe Colomb, lorsque, ayant franchi l’Atlantique, lorsque, au milieu d’un équipage révolté, lorsque, prêt à retourner en Europe sans avoir atteint le but de son voyage, il aperçut une petite lumière sur une terre inconnue que la nuit lui cachoit ! Le vol des oiseaux l’avoit guidé vers l’Amérique ; la lueur du foyer d’un sauvage lui découvrit un nouvel univers. Colomb dut éprouver quelque chose de ce sentiment que l’Écriture donne au Créateur, quand, après avoir tiré la terre du néant, il vit que son ouvrage étoit bon : Vidit Deus quod esset bonum. Colomb créoit un monde. On sait le reste : l’immortel Génois ne donna point son nom à l’Amérique ; il fut le premier Européen qui traversa chargé de chaînes cet océan dont il avoit le premier mesuré les flots. Lorsque la gloire est de cette nature qui sert aux hommes, elle est presque toujours punie.

Tandis que les Portugais côtoient les royaumes du Quitève, de Sédanda, de Mozambique, de Mélinde, qu’ils imposent des tributs à des rois mores,