Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/330

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jeune femme ensevelie sous les ruines de Pompeïa ; c’est une image assez juste, bien qu’elle ne soit pas encore assez vaine, de la trace que notre mémoire laisse dans le cœur des hommes, cendre et poussière[1].

Avant de partir pour Naples, j’étois allé passer quelques jours seul à Tivoli ; je parcourus les ruines des environs, et surtout celles de la villa Adriana. Surpris par la pluie au milieu de ma course, je me réfugiai dans les salles des thermes voisins du Pœcile[2], sous un figuier qui avoit renversé le pan d’un mur en croissant. Dans un petit salon octogone, une vigne vierge perçoit la voûte de l’édifice, et son gros cep lisse, rouge et tortueux, montoit le long du mur comme un serpent. Tout autour de moi, à travers les arcades des ruines, s’ouvroient des points de vue sur la campagne romaine. Des buissons de sureau remplissoient les salles désertes où venoient se réfugier quelques merles. Les fragments de maçonnerie étoient tapissés de feuilles de scolopendre, dont la verdure satinée se dessinoit comme un travail en mosaïque sur la blancheur des marbres. Çà et là de hauts cyprès remplaçoient les colonnes tombées dans ce palais de la mort ; l’acanthe sauvage rampoit à leurs pieds, sur des débris, comme si la nature s’étoit plu à reproduire sur les chefs-d’œuvre mutilés de l’architecture l’ornement de leur beauté passée. Les salles diverses et les sommités des ruines ressembloient à des corbeilles et à des bouquets de verdure ; le vent agitoit les guirlandes humides, et toutes les plantes s’inclinoient sous la pluie du ciel.

Pendant que je contemplois ce tableau, mille idées confuses se pressoient dans mon esprit : tantôt j’admirois, tantôt je détestois la grandeur romaine ; tantôt je pensois aux vertus, tantôt aux vices de ce propriétaire du monde, qui avoit voulu rassembler une image de son empire dans son jardin. Je rappelois les événements qui avoient renversé cette villa superbe ; je la voyois dépouillée de ses plus beaux ornements par le successeur d’Adrien ; je voyois les barbares y passer comme un tourbillon, s’y cantonner quelquefois, et, pour se défendre dans ces mêmes monuments qu’ils avoient à moitié détruits, couronner l’ordre grec et toscan du créneau gothique ; enfin, des religieux chrétiens, ramenant la civilisation dans ces lieux, plantoient la vigne et conduisoient la charrue dans le temple des Stoïciens et les salles de l’Académie[3]. Le siècle des arts renaissoit, et de nouveaux souverains achevoient de bouleverser ce qui restoit encore des ruines de ces

  1. Job.
  2. Monuments de la villa. Voyez plus haut la description de Tivoli et de la villa Adriana, p. 277 et suivantes.
  3. Monuments de la villa. Voyez la description de cette villa, p. 277.