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VOYAGE A CLERMONT.

par un huissier appelé Loup, lui fit couper le poing, disant que jamais loup ne s’étoit présenté à son château, sans qu’il n’eût laissé sa patte clouée à la porte. Aussi arriva-t-il qu’aux grands jours tenus à Clermont en 1665 ces petites fredaines produisirent douze mille plaintes rendues en justice criminelle. Presque toute la noblesse fut obligée de fuir, et l’on n’a point oublié l’homme aux douze apôtres. Le cardinal de Richelieu fit raser une partie des châteaux d’Auvergne ; Louis XIV en acheva la destruction. De tous ces donjons en ruine, un des plus célèbres est celui du Murat ou d’Armagnac. Là fut pris le malheureux Jacques, duc de Nemours, jadis lié d’amitié avec ce Jean V, comte d’Armagnac, qui avoit épousé publiquement sa propre sœur. En vain le duc de Nemours adressa-t-il une lettre bien humble à Louis XI, écrite en la cage de la Bastille et signée le pauvre Jacques ; il fut décapité aux halles de Paris, et ses trois jeunes fils, placés sous l’échafaud, furent couverts du sang de leur père.

Charles de Valois, duc d’Angoulême, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet, frère utérin de la marquise de Verneuil, fut investi du comté de Clermont et d’Auvergne. Il entra dans les complots de Biron, dont la mort est justement reprochée à Henri IV. A la mort d’Henri III, Henri IV avoit dit à Armand de Gontaud, baron de Biron : C’est à cette heure qu’il faut que vous mettiez la main droite à ma couronne ; venez-moi servir de père et d’ami contre ces gens qui n’aiment ni vous ni moi. Henri auroit dû garder la mémoire de ces paroles ; il auroit dû se souvenir que Charles de Gontaud, fils d’Armand, avoit été son compagnon d’armes ; il auroit dû se souvenir que la tête de celui qui avoit mis la main droite à sa couronne avoit été emportée par un boulet : ce n’étoit pas au Béarnois à joindre la tête du fils à la tête du père.

Le comte d’Auvergne, pour de nouvelles intrigues, fut arrêté à Clermont ; sa maîtresse, la dame de Châteaugay, menaçoit de tuer de cent coups de pistolet et de cent coups d’épée d’Eure et Murat qui avoient saisi le comte : elle ne tua personne. Le comte d’Auvergne fut mis à la Bastille ; il en sortit sous Louis XIII, et vécut jusqu’en 1650 : c’étoit la dernière goutte du sang des Valois.

Le duc d’Angoulême étoit brave, léger et lettré comme tous les Valois. Ses Mémoires contiennent une relation touchante de la mort d’Henri III, et un récit détaillé du combat d’Arques, auquel lui, duc d’Angoulème, s’étoit trouvé à l’âge de seize ans. Chargeant Sagonne, ligueur décidé, qui lui crioit : « Du fouet ! du fouet ! petit garçon ! » il lui cassa la cuisse d’un coup de pistolet, et obtint les prémices de la victoire.