souffrir, le montagnard appuie davantage sur tous les sentiments de sa vie. Il ne faut pas attribuer aux charmes des lieux qu’il habite l’amour extrême qu’il montre pour son pays : cet amour vient de la concentration de ses pensées et du peu d’étendue de ses besoins.
Mais les montagnes sont le séjour de la rêverie ? J’en doute ; je doute qu’on puisse rêver lorsque la promenade est une fatigue, lorsque l’attention que vous êtes obligé de donner à vos pas occupe entièrement votre esprit. L’amateur de la solitude qui bayerait aux chimères[1] en gravissant le Montanvert pourroit bien tomber dans quelque puits, comme l’astrologue qui prétendoit lire au-dessus de sa tête et ne pouvoit voir à ses pieds.
Je sais que les poètes ont désiré les vallées et les bois pour converser avec les Muses. Mais écoutons Virgile :
Rura mihi et rigui placeant in vallibus amnes :
Flumina amem sylvasque inglorius.
… Et ingenti ramorum protegat umbra,
« Et d’un feuillage épais ombragera ma tête. »
...........O ubi campi,
Sperchiusque et virginibus bacchata lacænis
Taygeta ! O qui me gelidis in vallibus Hæmi
Sistat !
Dieux ! que ne suis-je assis au bord du Sperchius !
Quand pourrai-je fouler les beaux vallons d’Hémus
Oh ! qui me portera sur le riant Taygète !
Il se seroit fort peu soucié de la vallée de Chamouny, du glacier de Taconay, de la petite et de la grande Jorasse, de l’aiguille du Dru et du rocher de la Tête-Noire.
Enfin, si nous en croyons Rousseau et ceux qui ont recueilli ses
- ↑ La Fontaine