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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/72

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patriotes sur la frontière de la solitude, par ce M. Violet, maître de danse chez les sauvages. On lui payoit ses leçons en peaux de castor et en jambons d’ours. « Au milieu d’une forêt, on voyoit une espèce de grange ; je trouvai dans cette grange une vingtaine de sauvages, hommes et femmes, barbouillés comme des sorciers, le corps demi-nu, les oreilles découpées, des plumes de corbeau sur la tête et des anneaux passés dans les narines. Un petit François, poudré et frisé comme autrefois, habit vert-pomme, veste de droguet, jabot et manchettes de mousseline, racloit un violon de poche, et faisoit danser Madelon Friquet à ces Iroquois. M. Violet, en me parlant des Indiens, me disoit toujours : Ces messieurs sauvages et ces dames sauvagesses. Il se louoit beaucoup de la légèreté de ses écoliers : en effet, je n’ai jamais vu faire de telles gambades. M. Violet, tenant son petit violon entre son menton et sa poitrine, accordoit l’instrument fatal ; il crioit en iroquois : À vos places ! et toute la troupe sautoit comme une bande de démons[1]. »

C’étoit une chose assez étrange pour un disciple de Rousseau que cette introduction à la vie sauvage par un bal que donnoit à des Iroquois un ancien marmiton du général Rochambeau. Nous continuâmes notre route. Je laisse maintenant parler le manuscrit : je le donne tel que je le trouve, tantôt sous la forme d’un récit, tantôt sous celle d’un journal, quelquefois en lettres ou en simples annotations.

LES ONONDAGAS.

Nous étions arrivés au bord du lac auquel les Onondagas, peuplade iroquoise, ont donné leur nom. Nos chevaux avoient besoin de repos. Je choisis avec mon Hollandois un lieu propre à établir notre camp. Nous en trouvâmes un dans une gorge de vallée, à l’endroit où une rivière sort en bouillonnant du lac. Cette rivière n’a pas couru cent toises au nord en directe ligne qu’elle se replie à l’est, et court parallèlement au rivage du lac, en dehors des rochers qui servent de ceinture à ce dernier.

Ce fut dans la courbe de la rivière que nous dressâmes notre appareil de nuit : nous fichâmes deux hauts piquets en terre ; nous plaçâmes horizontalement dans la fourche de ces piquets une longue percche ; appuyant des écorces de bouleau, un bout sur le sol, l’autre bout sur la gaule transversale, nous eûmes un toit digne de notre

  1. Itinéraire, t. V.