Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/80

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père, qui le prioit, et a obéi à son aïeul, qui lui commandoit. Le père n’est presque rien pour l’enfant.

On n’inflige jamais une punition à celui-ci ; il ne reconnoît que l’autorité de l’âge et celle de sa mère. Un crime réputé affreux et sans exemple parmi les Indiens est celui d’un fils rebelle à sa mère. Lorsqu’elle est devenue vieille, il la nourrit.

À l’égard du père, tant qu’il est jeune, l’enfant le compte pour rien ; mais lorsqu’il avance dans la vie, son fils l’honore, non comme père, mais comme vieillard, c’est-à-dire comme un homme de bons conseils et d’expérience.

Cette manière d’élever les enfants dans toute leur indépendance devroit les rendre sujets à l’humeur et aux caprices ; cependant les enfants des sauvages n’ont ni caprices ni humeur, parce qu’ils ne désirent que ce qu’ils savent pouvoir obtenir. S’il arrive à un enfant de pleurer pour quelque chose que sa mère n’a pas, on lui dit d’aller prendre cette chose où il l’a vue : or, comme il n’est pas le plus fort, et qu’il sent sa foiblesse, il oublie l’objet de sa convoitise. Si l’enfant sauvage n’obéit à personne, personne ne lui obéit : tout le secret de sa gaieté ou de sa raison est là.

Les enfants indiens ne se querellent point, ne se battent point : ils ne sont ni bruyants, ni tracassiers, ni hargneux ; ils ont dans l’air je ne sais quoi de sérieux comme le bonheur, de noble comme l’indépendance.

Nous ne pourrions pas élever ainsi notre jeunesse ; il nous faudroit commencer par nous défaire de nos vices : or nous trouvons plus aisé de les ensevelir dans le cœur de nos enfants, prenant soin seulement d’empêcher ces vices de paroître au dehors.

Quand le jeune Indien sent naître en lui le goût de la pêche, de la chasse, de la guerre, de la politique, il étudie et imite les arts qu’il voit pratiquer à son père : il apprend alors à coudre un canot, à tresser un filet, à manier l’arc, le fusil, le casse-tête, la hache, à couper un arbre, à bâtir une hutte, à expliquer les colliers. Ce qui est un amusement pour le fils devient une autorité pour le père : le droit de la force et de l’intelligence de celui-ci est reconnu, et ce droit le conduit peu à peu au pouvoir du sachem.

Les filles jouissent de la même liberté que les garçons : elles font à peu près ce qu’elles veulent, mais elles restent davantage avec leurs mères, qui leur enseignent les travaux du ménage. Lorsqu’une jeune Indienne a mal agi, sa mère se contente de lui jeter des gouttes d’eau an visage et de lui dire : Tu me déshonores. Ce reproche manque rarement son effet.