Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/85

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sont froides comme la neige à un demi-pied au-dessous de leur surface ; ces mêmes eaux gèlent rarement dans les hivers rigoureux de ces climats, alors même que la mer est gelée.

Les productions de la terre autour du lac varient selon les différents sols : sur la côte orientale on ne voit que des forêts d’érables rachitiques et déjetés, qui croissent presque horizontalement dans du sable ; au nord, partout où le roc vif laisse à la végétation quelque gorge, quelques revers de vallée, on aperçoit des buissons de groseilliers sans épines, et des guirlandes d’une espèce de vigne qui porte un fruit semblable à la framboise, mais d’un rose plus pâle. Çà et là s’élèvent des pins isolés.

Parmi le grand nombre de sites que présentent ces solitudes, deux se font particulièrement remarquer.

En entrant dans le lac Supérieur par le détroit de Sainte-Marie, on voit à gauche des îles qui se courbent en demi-cercle, et qui toutes plantées d’arbres à fleurs ressemblent à des bouquets dont le pied trempe dans l’eau ; à droite, les caps du continent s’avancent dans les vagues : les uns sont enveloppés d’une pelouse qui marie sa verdure au double azur du ciel et de l’onde ; les autres, composés d’un sable rouge et blanc, ressemblent, sur le fond du lac bleuâtre, à des rayons d’ouvrages de marqueterie. Entre ces caps longs et nus s’entremêlent de gros promontoires revêtus de bois qui se répètent invertis dans le cristal au-dessous. Quelquefois aussi les arbres serrés forment un épais rideau sur la côte, et quelquefois clairsemés ils bordent la terre comme des avenues ; alors leurs troncs écartés ouvrent des points d’optique miraculeux. Les plantes, les rochers, les couleurs, diminuent de proportion ou changent de teinte à mesure que le paysage s’éloigne ou se rapproche de la vue.

Ces îles au midi et ces promontoires à l’orient, s’inclinant par l’occident les uns sur les autres, forment et embrassent une vaste rade, tranquille quand l’orage bouleverse les autres régions du lac. Là se jouent des milliers de poissons et d’oiseaux aquatiques ; le canard noir du Labrador se perche sur la pointe d’un brisant ; les vagues environnent ce solitaire en deuil des festons de leur blanche écume ; des plongeons disparoissent, se montrent de nouveau, disparoissent encore ; l’oiseau des lacs plane à la surface des flots, et le martin pêcheur agite rapidement ses ailes d’azur pour fasciner sa proie.

Par delà les îles et les promontoires enfermant cette rade, au débouché du détroit de Sainte-Marie, l’œil découvre les plaines fluides et sans bornes du lac. Les surfaces mobiles de ces plaines s’élèvent et se perdent graduellement dans l’étendue ; du vert d’émeraude elles