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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/32

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soient plus à leurs parents ; ils devenoient vagabonds et débauchés, en attendant le jour où ils alloient piller et égorger le monde. Quel principe de religion et de morale auroit eu le temps de prendre racine dans leur cœur ? De leur côté, les pères et les mères, dans la classe du peuple, n’attachoient plus leurs affections, ne donnoient plus leurs soins à des enfants qu’ils se préparoient à perdre, qui n’étoient plus leur richesse et leur appui, et qui ne devenoient pour eux qu’un objet de douleur et un fardeau. De là cet endurcissement de l’âme, cet oubli de tous les sentiments naturels, qui mènent à l’égoïsme, à l’insouciance du bien et du mal, à l’indifférence pour la patrie, qui éteignent la conscience et le remords, qui vouent un peuple à la servitude, en lui ôtant l’horreur du vice et l’admiration pour la vertu.

Telle étoit l’administration de Buonaparte pour l’intérieur de la France.

Examinons au dehors la marche de son gouvernement, cette politique dont il étoit si fier, et qu’il définissoit ainsi : La politique, c’est jouer aux hommes. Eh bien ! il a tout perdu à ce jeu abominable, et c’est la France qui a payé sa perte.

Pour commencer par son système continental, ce système, d’un fou ou d’un enfant, n’étoit point d’abord le but réel de ses guerres, il n’en étoit que le prétexte. Il vouloit être le maître de la terre en ne parlant que de la liberté des mers. Et ce système insensé, a-t-il fait ce qu’il falloit pour l’établir ? Par les deux grandes fautes qui, comme nous le dirons après, ont fait échouer ses projets sur l’Espagne et sur la Russie, n’a-t-il pas manqué aussi de fermer les ports de la Méditerranée et de la Baltique ? N’a-t-il pas donné toutes les colonies du monde aux Anglois ? Ne leur a-t-il pas ouvert au Pérou, au Mexique, au Brésil, un marché plus considérable que celui qu’il vouloit leur fermer en Europe ? chose si vraie, que la guerre a enrichi le peuple qu’il prétendoit ruiner. L’Europe n’emploie que quelques superfluités de l’Angleterre ; le fond des nations européennes trouve dans ses propres manufactures de quoi suffire à ses principales nécessités. En Amérique, au contraire, les peuples ont besoin de tout, depuis le premier jusqu’au dernier vêtement ; et dix millions d’Américains consomment plus de marchandises angloises que trente millions d’Européens. Je ne parle point de l’importation de l’argent du Mexique aux Indes, du monopole du cacao, du quinquina, de la cochenille et de mille autres objets de spéculation, devenus une nouvelle source de richesse pour les Anglois. Et quand Buonaparte auroit réussi à fermer les ports de l’Espagne et de la Baltique, il falloit donc ensuite fermer ceux de la