Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/41

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la peste, à l’invasion, au démembrement, à la conquête ? C’est encore toi. Voilà ce que tu n’as pu demander au Directoire, et ce que nous te demandons aujourd’hui. Combien es-tu plus coupable que ces hommes que tu ne trouvois pas dignes de régner ! Un roi légitime et héréditaire qui auroit accablé son peuple de la moindre partie des maux que tu nous as faits eût mis son trône en péril ; et toi, usurpateur et étranger, tu nous deviendrois sacré en raison des calamités que tu as répandues sur nous ! tu régnerois encore au milieu de nos tombeaux ! Nous rentrons enfin dans nos droits par le malheur ; nous ne voulons plus adorer Moloch ; tu ne dévoreras plus nos enfants : nous ne voulons plus de ta conscription, de ta police, de ta censure, de tes fusillades nocturnes, de ta tyrannie. Ce n’est pas seulement nous, c’est le genre humain qui t’accuse. Il nous demande vengeance au nom de la religion, de la morale et de la liberté. Où n’as-tu pas répandu la désolation ? dans quel coin du monde une famille obscure a-t-elle échappé à tes ravages ? L’Espagnol dans ses montagnes, l’Illyrien dans ses vallées, l’Italien sous son beau soleil, l’Allemand, le Russe, le Prussien dans ses villes en cendres, te redemandent leurs fils que tu as égorgés, la tente, la cabane, le château, le temple où tu as porté la flamme. Tu les as forcés de venir chercher parmi nous ce que tu leur as ravi, et reconnoître dans tes palais leur dépouille ensanglantée. La voix du monde te déclare le plus grand coupable qui ait jamais paru sur la terre ; car ce n’est pas sur des peuples barbares et sur des nations dégénérées que tu as versé tant de maux ; c’est au milieu de la civilisation, dans un siècle de lumières, que tu as voulu régner par le glaive d’Attila et les maximes de Néron. Quitte enfin ton sceptre de fer ; descends de ce monceau de ruines dont tu avais fait un trône ! Nous te chassons comme tu as chassé le Directoire. Va ! puisses-tu, pour seul châtiment, être témoin de la joie que ta chute cause à la France, et contempler en versant des larmes de rage le spectacle de la félicité publique !

Telles sont les paroles que nous adressons à l’étranger. Mais si nous rejetons Buonaparte, qui le remplacera ? — Le Roi.