Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/44

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nos plaies, le testament de Louis XVI à la main. Il répétera à son sacre ces paroles écrites par son vertueux frère :

« Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont faits mes ennemis sans que je leur en eusse donné aucun sujet, et je prie Dieu de leur pardonner. »

Monsieur, comte d’Artois, d’un caractère si franc, si loyal, si françois, se distingue aujourd’hui par sa piété, sa douceur et sa bonté, comme il se faisoit remarquer dans sa première jeunesse par son grand air et ses grâces royales. Buonaparte fuit abattu par la main de Dieu, mais non corrigé par l’adversité : à mesure qu’il recule dans le pays qui échappe à sa tyrannie, il traîne après lui de malheureuses victimes chargées de fers ; c’est dans les dernières prisons de France qu’il exerce les derniers actes de son pouvoir. Monsieur arrive seul, sans soldats, sans appui, inconnu aux François auxquels il se montre. À peine a-t-il prononcé son nom, que le peuple tombe à ses genoux : on baise respectueusement son habit, on embrasse ses genoux ; on lui crie, en répandant des torrents de larmes : « Nous ne vous apportons que nos cœurs ; Buonaparte ne nous a laissé que cela ! » À cette manière de quitter la France, à cette façon d’y rentrer, connoissez d’un côté l’usurpateur, de l’autre le prince légitime.

M. le duc d’Angoulême a paru dans une autre de nos provinces ; Bordeaux s’est jeté dans ses bras ; et le pays de Henri IV a reconnu avec des transports de joie l’héritier des vertus du Béarnois. Nos armées n’ont point vu de chevalier plus brave que M. le duc de Berry. M. le duc d’Orléans prouve, par sa noble fidélité au sang de son roi, que son nom est toujours un des plus beaux de la France. J’ai déjà parlé des trois générations de héros, M. le prince de Condé, M. le duc de Bourbon : je laisse à Buonaparte à nommer le troisième.

Je ne sais si la postérité pourra croire que tant de princes de la maison de Bourbon ont été proscrits par ce peuple qui leur devoit toute sa gloire, sans avoir été coupables d’aucun crime, sans que leur malheur leur soit venu de la tyrannie du dernier roi de leur race ; non, l’avenir ne pourra comprendre que nous ayons banni des princes aussi bons, des princes nos compatriotes, pour mettre à notre tête un étranger, le plus méchant de tous les hommes. On conçoit jusqu’à un certain point la république en France : un peuple, dans un moment de folie, peut vouloir changer la forme de son gouvernement, et ne plus reconnoître le chef suprême ; mais si nous revenons à la monarchie, c’est le comble de la honte et de l’absurdité de la vouloir sans le souverain légitime, et de croire qu’elle puisse exister sans lui. Qu’on modifie, si l’on veut, la constitution de cette monarchie, mais nul n’a