Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/51

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Au reste, les rois peuvent-ils douter de l’opinion de la France ? croient-ils qu’ils seroient parvenus aussi facilement jusqu’au Louvre si les François n’avoient espéré en eux des libérateurs ? N’ont-ils pas vu dans toutes les villes où ils sont entrés des signes manifestes de cette espérance ? Qu’entend-on en France depuis six mois, sinon ces paroles : Les Bourbons y sont-ils ? Où sont les princes ? viennent-ils ? Ah ! si l’on voyoit un drapeau blanc ! D’une autre part, l’horreur de l’usurpateur est dans tous les cœurs. Il inspire tant de haine, qu’il a balancé chez un peuple guerrier ce qu’il y a de dur dans la présence d’un ennemi ; on a mieux aimé souffrir une invasion d’un moment que de s’exposer à garder Buonaparte toute la vie. Si les armées se sont battues, admirons leur courage et déplorons leurs malheurs ; elles détestent le tyran autant et plus que le reste des François, mais elles ont fait un serment, et des grenadiers françois meurent victimes de leur parole. La vue de l’étendard militaire inspire la fidélité : depuis nos pères les Francs jusqu’à nous, nos soldats ont fait un pacte saint et se sont pour ainsi dire mariés à leur épée. Ne prenons donc pas le sacrifice de l’honneur pour l’amour de l’esclavage. Nos braves guerriers n’attendent qu’à être dégagés de leur parole. Que les François et les alliés reconnoissent les princes légitimes, et à l’instant l’armée, déliée de son serment, se rangera sous le drapeau sans tache, souvent témoin de nos triomphes, quelquefois de nos revers, toujours de notre courage, jamais de notre honte.

Les rois alliés ne trouveront aucun obstacle à leur dessein s’ils veulent suivre le seul parti qui peut assurer le repos de la France et celui de l’Europe. Ils doivent être satisfaits du triomphe de leurs armes. Nous François, nous ne devons considérer ces triomphes que comme une leçon de la Providence, qui nous châtie sans nous humilier. Nous pouvons nous dire avec assurance que ce qui eût été impossible sous nos princes légitimes ne pouvoit s’accomplir que sous ce règne d’un aventurier. Les rois alliés doivent désormais aspirer à une gloire plus solide et plus durable. Qu’ils se rendent avec leur garde sur la place de notre Révolution ; qu’ils fassent célébrer une pompe funèbre à la place même où sont tombées les têtes de Louis et d’Antoinette ; que ce conseil de rois, la main sur l’autel, au milieu du peuple françois à genoux et en larmes, reconnoisse Louis XVIII pour roi de France : ils offriront au monde le plus grand spectacle qu’il ait jamais vu, et répandront sur eux une gloire que les siècles ne pourront effacer.

Mais déjà une partie de ces événements est accomplie. Les miracles ont enfanté les miracles. Paris, comme Athènes, a vu rentrer dans ses