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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/63

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aux anciens jours : les nations, comme les fleuves, ne remontent point vers leurs sources : on ne rendit point à la république romaine le gouvernement de ses rois, ni à l’empire d’Auguste le sénat de Brutus. Le temps change tout, et l’on ne peut pas plus se soustraire à ses lois qu’à ses ravages. »

Qu’il reste donc encore un peu de chaleur dans nos opinions, cela ne peut être autrement. Le despotisme qui vient de finir nous avoit fait sortir de l’ordre naturel. Toutes nos passions étoient exaltées ; le soldat ne songeoit qu’à devenir maréchal de France, au prix de la vie d’un million de François ; le plus mince commis aux douanes voyoit en perspective un ministère ; l’ouvrier sorti de sa boutique ne vouloit plus y rentrer ; la jeunesse, débarrassée du joug domestique, se plongeoit dans toutes les jouissances et dans toutes les chimères de son âge. Un devoir qui se réduisoit à une bassesse, obéir aveuglément à la volonté d’un maître, remplaçoit toute la morale de la vie. Buonaparte étoit le chef visible du mal, comme le démon en est le chef invisible. Toutes les ambitions désordonnées se rassembloient autour de lui, à peu près comme les songes qui viennent se suspendre à l’arbre funeste que Virgile place à la porte des enfers.

Aujourd’hui, il nous en coûte de rentrer dans le devoir ; le repos nous paroît insipide. Mais comme l’ordre est l’état naturel des choses, nous reprendrons malgré nous le goût des choses honnêtes et des jouissances légitimes. Il est curieux de voir la surprise des hommes accoutumés à gouverner par les moyens violents du despotisme. Ils prédisent des révolutions, des soulèvements qui n’arrivent pas ; ils prennent leurs opinions particulières, leur humeur, leurs intérêts secrets, pour l’opinion, l’humeur et l’intérêt de la France. On n’administre pas, disent-ils. Cela n’ira pas ; cela ne peut pas aller. Eh ! pourquoi ? parce qu’on n’a pas fusillé ce matin à la plaine de Grenelle ; parce que la police n’a pas mis à Vincennes cette nuit une douzaine de personnes ; parce qu’on n’a pas amené du bout de la France des prisonniers dans des cages de poste ; parce qu’on n’a pas payé assez d’espions ; parce qu’on n’empêche personne de parler, d’écrire, d’imprimer même ce qu’il veut ; parce qu’on ne s’est mêlé ni des opérations du commerce ni de celles de l’agriculture ; parce que le conseil d’État n’a pas pris dans un seul jour cent arrêtés contradictoires ; parce que, ayant à choisir sur vingt-cinq millions de François, on n’a pas cru que tous les talents fussent exclusivement renfermés dans les têtes de quelques hommes que l’opinion publique repousse, et qu’on n’a pas appelé ces hommes au gouvernement ! Ces personnes (distinguées d’ailleurs par l’expérience des affaires) sont cependant de mauvais