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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/65

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ils sont protégés comme les autres citoyens, sans que l’on songe à se prémunir contre eux. Une grande princesse est venue, sous la généreuse protection du roi, prendre les eaux dans nos provinces, et pourtant la plaie étoit bien vive et bien récente ! Cette princesse pouvoit réveiller de puissants souvenirs ! Eh bien, qu’est-ce que sa présence a produit ? Se représente-t-on Mme la duchesse d’Angoulême aux eaux d’Aix sous le gouvernement si robuste de la tyrannie, lorsque le seul nom de Bourbon faisoit trembler le roi des rois ? Enfin, un frère de l’étranger est établi sur notre frontière, où il se montre avec une richesse qu’il seroit plus décent de cacher. En a-t-on témoigné la moindre inquiétude ? A-t-on demandé son éloignement ? Qu’on apprenne donc à juger de la force d’un gouvernement, non par ses actes administratifs, mais par son plus ou moins de morale, de modération et de justice. La force des rois est inébranlable quand elle vient des lumières de leur esprit et de la droiture de leur cœur.

Les Bourbons ont erré, presque sans asile, sur la surface de la terre ; exposés aux craintes de l’usurpateur, ils ne pouvoient surtout approcher des frontières de France sans courir les risques de la vie, témoin l’infortuné duc d’Enghien. Aujourd’hui ils ne poursuivent point ceux qui les ont si cruellement poursuivis ; ils les laissent paroître autour d’eux, sans leur montrer la moindre crainte, sans même prendre les précautions qui paroîtroient si naturelles. Qui n’admireroit une confiance aussi magnanime, une absence aussi absolue de tout ressentiment ? Louis XVIII a raison. C’est en s’abandonnant ainsi à la loyauté des François qu’il prouve invinciblement la légitimité de ses droits et la solidité de son trône. Il semble qu’il nous ait crié, en arrivant à Calais, comme Philippe de Valois aux portes du château de Broye : « Ouvrez, c’est la fortune de la France ! » Nous lui avons ouvert ; et nous lui prouverons que nous sommes dignes de l’estime qu’il nous a témoignée, lorsqu’il a si noblement confié à notre foi ses vertus et ses malheurs.