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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/95

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Si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, notre repos devoit être encore troublé, des François peuvent retrouver des victoires ; mais où retrouve-t-on un peuple lorsqu’une longue servitude l’a flétri ? Pour nous, nous le dirons avec franchise, nous aimerions mieux la France resserrée dans les murs de Bourges, mais libre sous un roi légitime, qu’étendue jusqu’à Moscou, mais esclave sous un usurpateur ; du moins on ne nous verroit pas adorer les fureurs et bénir les mépris d’un indigne maître, baiser ses mains dégouttantes du sang de nos fils, offrir des sacrifices à sa statue, et porter son buste orné de pourpre sur la tribune aux harangues. Les Romains étoient un grand peuple quand ils ne passoient pas la frontière des Samnites : qu’étoient-ils lorsque gouvernés par Néron ils commandoient sur les rives du Rhin et de l’Euphrate ?

CHAPITRE XIII.
DE LA CHARTE. QU’ELLE CONVIENT AUX DEUX OPINIONS QUI PARTAGENT LA FRANCE.

Ici finit ce que notre tâche avoit de pénible : nous n’avons plus de sujets douloureux à rappeler. Le principal écrivain que nous avons combattu a raison dans les dernières pages de son ouvrage ; il nous dit « que la Charte offre assez de garanties pour nous sauver tous ; qu’il faut nous créer une opinion publique, nous attacher à notre patrie. » Belles paroles auxquelles nous souscrivons de grand cœur. Et qui pourroit se plaindre de cette Charte ? Elle réunit toutes les opinions, réalise toutes les espérances, satisfait tous les besoins. Examinons-en l’esprit : nous trouverons dans cet examen un nouveau sujet de reconnoissance pour le roi.

Les François, indépendamment des divisions politiques, naturelles et nécessaires à une monarchie, se partagent aujourd’hui en deux grandes classes : ceux qui ne sont pas obligés de travailler pour vivre, et ceux que la fortune met dans un état de dépendance : occupés de leur existence physique, les seconds n’ont besoin que de bonnes lois ; mais les premiers, avec le besoin des bonnes lois, ont encore celui de la considération. Ce besoin est dans tous les cœurs ; il n’y a point de puissance humaine qui parvînt aujourd’hui à le détruire ou qui le choquât impunément. C’est une conséquence nécessaire de l’égalité qui s’est établie dans l’éducation et dans les fortunes. Tout homme qui lit passe (et trop souvent pour son malheur) de l’empire des cou-