Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/135

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du mouvement et des autres propriétés de la matière, n’étant ni étendu ni divisible.

Ainsi l’objection se renverse de fond en comble, puisque tout se réduit à savoir si la matière et la pensée sont une et même chose ; ce qui ne se peut soutenir sans absurdité.

Au surplus, il ne faut pas s’imaginer qu’en employant la prescription pour écarter cette difficulté, il soit impossible de l’attaquer par le fond. On peut prouver qu’alors même que l’esprit semble suivre les accidents du corps, il conserve les caractères distinctifs de son essence. Les athées, par exemple, produisent en triomphe la folie, les blessures au cerveau, les fièvres délirantes : afin d’étayer leur système, ces hommes sont obligés d’enrôler pour auxiliaires dans leur cause les malheurs de l’humanité. Eh bien, donc, ces fièvres, cette folie (que l’athéisme, c’est-à-dire le génie du mal, a raison d’appeler en preuve de sa réalité), que démontrent-elles, après tout ? Je vois une imagination déréglée, mais un entendement réglé. Le fou et le malade aperçoivent des objets qui n’existent pas ; mais raisonnent-ils faux sur ces objets ? Ils tirent d’une cause infirme des conséquences saines.

Pareille chose arrive à l’homme attaqué de la fièvre : son âme est offusquée dans la partie où se réfléchissent les images, parce que l’imbécillité des sens ne lui transmet que des notions trompeuses ; mais la région des idées reste entière et inaltérable. Et de même qu’un feu allumé dans une vile matière n’en est pas moins un feu pur, quoique nourri d’impurs aliments, ainsi la pensée, flamme céleste, s’élance incorruptible et immortelle du milieu de la corruption et de la mort.

Quant à l’influence des climats sur l’esprit, qui a été alléguée comme une preuve de la matérialité de la pensée, nous prions nos lecteurs de faire quelque attention à notre réponse ; car, au lieu de résoudre une objection, nous allons tirer de la chose même qu’on nous oppose une preuve de l’immortalité de l’âme.

On a remarqué que la nature se montre plus forte au septentrion et au midi : c’est entre les tropiques que se trouvent les plus grands quadrupèdes, les plus grands reptiles, les plus grands oiseaux, les plus grands fleuves, les plus hautes montagnes ; c’est dans les régions du Nord que vivent les puissants cétacés, qu’on rencontre l’énorme fucus et le pin gigantesque. Si tout est effet de matière, combinaison d’éléments, force de soleil, résultat du froid et du chaud, du sec et de l’humide, pourquoi l’homme seul est-il excepté de la loi générale ? Pourquoi sa capacité physique et morale ne se dilate-t-elle pas avec celle de l’éléphant sous la ligne et de la baleine sous le pôle ? Dira-t-on qu’il est, comme le bœuf, un animal de tous les pays ? Mais le bœuf