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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/146

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Dieu suspend les flots de la création, et le monde a passé comme un fleuve tari.

Alors se fait entendre la trompette de l’ange du jugement ; il crie : Morts, levez-vous ! Surgite, mortui ! Les sépulcres se fendent, le genre humain sort du tombeau, et les races s’assemblent dans Josaphat.

Le Fils de l’homme apparaît sur les nuées ; les puissances de l’enfer remontent du fond de l’abîme pour assister au dernier arrêt prononcé sur les siècles ; les boucs et les brebis sont séparés, les méchants s’enfoncent dans le gouffre, les justes montent dans les cieux ; Dieu rentre dans son repos, et partout règne l’éternité.


Chapitre VIII - Bonheur des Justes

On demande quelle est cette plénitude de bonheur céleste promise à la vertu par le christianisme ; on se plaint de sa trop grande mysticité : " Du moins dans le système mythologique, dit-on, on pouvait se former une image des plaisirs des ombres heureuses : mais comment comprendre la félicité des élus ? "

Fénelon l’a cependant devinée, cette félicité, lorsqu’il fait descendre Télémaque au séjour des mânes : son Elysée est visiblement un paradis chrétien. Comparez sa description à l’Elysée de l’Enéide, et vous verrez quels progrès le christianisme a fait faire à la raison et au cœur de l’homme.

" Une lumière pure et douce se répand autour du corps de ces hommes justes et les environne de ses rayons comme d’un vêtement : cette lumière n’est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui n’est que ténèbres ; c’est plutôt une gloire céleste qu’une lumière : elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal ; elle n’éblouit jamais : au contraire, elle fortifie les yeux et porte dans le fond de l’âme je ne sais quelle sérénité : c’est d’elle seule que les hommes bienheureux sont nourris ; elle sort d’eux, et elle y entre : elle les pénètre et s’incorpore à eux comme les aliments s’incorporent à nous. Ils la voient, ils la sentent, ils la respirent ; elle fait naître en eux une source intarissable de paix et de joie. Ils sont plongés dans cet abîme de délices comme les poissons dans la mer ; ils ne veulent plus rien ; ils ont tout sans rien avoir, car le goût de lumière pure apaise la faim de leur cœur. (…)