Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/230

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chênes rendirent des oracles bien plus certains, les vents et les ondes élevèrent des voix bien plus touchantes, quand l’homme eut puisé dans son propre cœur la vie, les oracles et les voix de la nature.

Jusqu’à ce moment la solitude avait été regardée comme affreuse ; mais les chrétiens lui trouvèrent mille charmes. Les anachorètes écrivirent de la douceur du rocher et des délices de la contemplation : c’est le premier pas de la poésie descriptive. Les religieux qui publièrent la vie des Pères du désert furent à leur tour obligés de faire le tableau des retraites où ces illustres inconnus avaient caché leur gloire. On voit encore dans les ouvrages de saint Jérôme et de saint Athanase[1] des descriptions de la nature qui prouvent qu’ils savaient observer et faire aimer ce qu’ils peignaient.

Ce nouveau genre, introduit par le christianisme dans la littérature, se développa rapidement. Il se répandit jusque dans le style historique, comme on le remarque dans la collection appelée la Byzantine, et surtout dans les histoires de Procope. Il se propagea de même, mais il se corrompit, parmi les romanciers grecs du Bas-Empire et chez quelques poètes latins en Occident[2].

Constantinople ayant passé sous le joug des Turcs, on vit se former en Italie une nouvelle poésie descriptive, composée des débris du génie maure, grec et italien. Pétrarque, l’Arioste et le Tasse l’élevèrent à un haut degré de perfection ; mais cette description manque de vérité : elle consiste en quelques épithètes répétées sans fin, et toujours appliquées de la même manière. Il fut impossible de sortir d’un bois touffu, d’un antre frais ou des bords d’une claire fontaine. Tout se remplit de bocages d’orangers, de berceaux de jasmins et de buissons de roses.

Flore revint avec sa corbeille, et les éternels Zéphyrs ne manquèrent pas de l’accompagner ; mais ils ne retrouvèrent dans les bois ni les naïades ni les faunes ; et s’ils n’eussent rencontré les fées et les géants des Maures, ils couraient risque de se perdre dans cette immense solitude de la nature chrétienne. Quand l’esprit humain fait un pas, il faut que tout marche avec lui ; tout change avec ses clartés ou ses ombres : ainsi il nous fait peine à présent d’admettre de petites divinités là où nous ne voyons plus que de grands espaces. On aura beau placer l’amante de Tithon sur un char et la couvrir de fleurs et de rosée, rien ne peut empêcher qu’elle ne paraisse disproportionnée en promenant sa faible lumière dans ces cieux infinis que le christianisme a déroulés : qu’elle laisse donc le soin d’éclairer le monde à celui qui l’a fait.

  1. Hieron., in Vit. Paul., S. Athan., in Vit. Anton. (N.d.A.)
  2. Boece, etc.(N.d.A.)