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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/236

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Achille va paraître pour venger Patrocle. Jupiter déclare aux Immortels qu’ils peuvent se mêler au combat et prendre parti dans la mêlée. Aussitôt l’Olympe s’ébranle :

Deinon, etc[1].

" Le père des dieux et des hommes fait gronder sa foudre. Neptune, soulevant les ondes, ébranle la terre immense ; l’Ida secoue ses fondements et ses cimes ; ses fontaines débordent : les vaisseaux des Grecs, la ville des Troyens, chancellent sur le sol flottant. "

Pluton sort de son trône ; il pâlit, il s’écrie, etc.

Ce morceau a été cité par les critiques comme le dernier effort du sublime. Les vers grecs sont admirables ; ils deviennent tour à tour le foudre de Jupiter, le trident de Neptune et le cri de Pluton. Il semble qu’on entende les gorges de l’Ida répéter le son des tonnerres :

Deinon d ebronthse pathr andrwn te qewn te.

Ces R et ces consonances en ôn, dont le vers est rempli, imitent le roulement de la foudre, interrompu par des espèces de silence, wn, te, qe, wn, te : c’est ainsi que la voix du ciel, dans une tempête, meurt et renaît tour à tour dans la profondeur des bois. Un silence subit et pénible, des images vagues et fantastiques, succèdent au tumulte des premiers mouvements : on sent, après le cri de Pluton, qu’on est entré dans la région de la mort ; les expressions d’Homère se décolorent, elles deviennent froides, muettes et sourdes, et une multitude d’S sifflantes imitent le murmure de la voix inarticulée des ombres.

Ou prendrons-nous le parallèle, et la poésie chrétienne a-t-elle assez de moyens pour s’élever à ces beautés ? Qu’on en juge. C’est l’Eternel qui se peint lui-même :

" Sa colère a monté comme un tourbillon de fumée ; son visage a paru comme la flamme, et son courroux comme un feu ardent. Il a abaissé les cieux, il est descendu, et les nuages étaient sous ses pieds. Il a pris son vol sur les ailes des Chérubins ; il s’est élancé sur les vents. Les nuées amoncelées formaient autour de lui un pavillon de ténèbres : l’éclat de son visage les a dissipées, et une pluie de feu est tombée de leur sein. Le Seigneur a tonné du haut des cieux. Le Très Haut a fait entendre sa voix ; sa voix a éclaté comme un orage brûlant. Il a lancé ses flèches et dissipé mes ennemis ; il a redoublé ses foudres, qui les ont renversés. Alors les eaux ont été

  1. Homère, Iliad., lib.X, v. 56. (N.d.A.)