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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/277

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" La terre, s’écrie Isaïe, chancellera comme un homme ivre ; elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit[1]. "

Voilà le sublime en contraste. Sur la phrase elle sera transportée l’esprit demeure suspendu et attend quelque grande comparaison, lorsque le prophète ajoute : comme une tente dressée pour une nuit. On voit la terre, qui nous paraît si vaste, déployée dans les airs comme un petit pavillon, ensuite emportée avec aisance par le Dieu fort qui l’a tendue, et pour qui la durée des siècles est à peine comme une nuit rapide.

La seconde espèce de comparaison que nous avons attribuée à la Bible, c’est-à-dire la longue comparaison, se rencontre ainsi dans Job :

" Vous verriez l’impie humecté avant le lever du soleil et réjouir sa tige dans son jardin. Ses racines se multiplient dans un tas de pierres et s’y affermissent ; si on l’arrache de sa place, le lieu même où il était le renoncera, et lui dira : " Je ne t’ai point connu[2]. "

Combien cette comparaison ou plutôt cette figure prolongée est admirable ! C’est ainsi que les méchants sont reniés par ces cœurs stériles, par ces tas de pierres sur lesquels, dans leur coupable prospérité, ils jettent follement leurs racines. Ces cailloux qui prennent la parole offrent de plus une sorte de personnification presque inconnue au poète de l’Ionie[3].

Ezéchiel prophétisant la ruine de Tyr s’écrie : " Les vaisseaux trembleront, maintenant que vous êtes saisie de frayeur ; et les îles seront épouvantées dans la mer en voyant que personne ne sort de vos portes[4]. "

Y a-t-il rien de plus effrayant que cette image ? On croit voir cette ville, jadis si commerçante et si peuplée, debout encore avec ses tours et ses édifices, tandis qu’aucun être vivant ne se promène dans ses rues solitaires ou ne passe sous ses portes désertes.

Venons aux exemples de narrations, où nous trouverons réunis le sentiment, la description, l’image, la simplicité et l’antiquité des mœurs.

Les passages les plus fameux, les traits les plus connus et les plus admirés dans Homère, se retrouvent presque mot pour mot dans la Bible, et toujours avec une supériorité incontestable.

Ulysse est assis au festin du roi Alcinoüs, Démodocus chante la guerre de Troie et les malheurs des Grecs :

Autar Odusseux, etc[5].

  1. Is., chap. XXIV, v. 20. (N.d.A.)
  2. Job, chap. VII, v. 16, 17, 18. (N.d.A.)
  3. Homère a fait pleurer le rivage de l’Hellespont. (N.d.A.)
  4. Ezéchiel, chap. XXVI, v. 18. (N.d.A.)
  5. Odyss. liv. VIII, v. 83, etc. (N.d.A.)