Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pergolèze a donc méconnu cette vérité qui tient à la théorie des passions, lorsqu’il a voulu que pas un soupir de l’âme ne ressemblât au soupir qui l’avait précédé. Partout où il y a variété il y a distraction, et partout où il y a distraction il n’y a plus de tristesse tant l’unité est nécessaire au sentiment ! tant l’homme est faible dans cette partie même où gît toute sa force, nous voulons dire dans la douleur !

La leçon des Lamentations de Jérémie porte un caractère particulier : elle peut avoir été retouchée par les modernes, mais le fond nous en paraît hébraïque, car il ne ressemble point aux airs grecs du plain-chant. Le Pentateuque se chantait à Jérusalem, comme des bucoliques, sur un mode plein et doux ; les prophéties se disaient d’un ton rude et pathétique, et les psaumes avaient un mode extatique qui leur était particulièrement consacré[1]. Ici nous retombons dans ces grands souvenirs que le culte catholique rappelle de toutes parts. Moïse et Homère, le Liban et le Cythéron, Solyme et Rome, Babylone et Athènes, ont laissé leurs dépouilles à nos autels.

Enfin, c’est l’enthousiasme même qui inspira le Te Deum. Lorsque, arrêtée sur les plaines de Lens ou de Fontenoy, au milieu des foudres et du sang fumant encore, aux fanfares des clairons et des trompettes, une armée française, sillonnée des feux de la guerre, fléchissait le genou et entonnait l’hymne au Dieu des batailles ; ou bien lorsqu’au milieu des lampes, des masses d’or, des flambeaux, des parfums, aux soupirs de l’orgue, au balancement des cloches, au frémissement des serpents et des basses, cette hymne faisait résonner les vitraux, les souterrains et les dômes d’une basilique, alors il n’y avait point d’homme qui ne se sentît transporté, point d’homme qui n’éprouvât quelque mouvement de ce délire qui faisait éclater Pindare aux bois d’Olympie ou David au torrent de Cédron.

Au reste, en ne parlant que des chants grecs de l’Église, on sent que nous n’employons pas tous nos moyens, puisque nous pourrions montrer les Ambroise, les Damase, les Léon, les Grégoire, travaillant eux-mêmes au rétablissement de l’art musical ; nous pourrions citer ces chefs-d’œuvre de la musique moderne composés pour les fêtes chrétiennes ; les Vinci, les Léo, les Hasse, les Galuppi, les Durante, élevés, formés ou protégés dans les oratoires de Venise, de Naples, de Rome, et à la cour des souverains pontifes.

  1. Bonnet, Hist. de la Musique et de ses effets.(N.d.A.)