Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/393

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qui n’avait jamais prêché que pauvreté, obéissance, renoncement aux biens de la terre, avait sa solennité au moment même où la pratique de son culte exposait la vie. Apprenons par là que toute fête qui se rallie à la religion et à la mémoire des bienfaits est la seule qui soit durable. Il ne suffit pas de dire aux hommes Réjouissez-vous, pour qu’ils se réjouissent : on ne crée pas des jours de plaisir comme des jours de deuil, et l’on ne commande pas les ris aussi facilement qu’on peut faire couler les larmes.

Tandis que la statue de Marat remplaçait celle de saint Vincent de Paul, tandis qu’on célébrait ces pompes dont les anniversaires seront marqués dans nos fastes comme des jours d’éternelle douleur, quelque pieuse famille chômait en secret une fête chrétienne, et la religion mêlait encore un peu de joie à tant de tristesse. Les cœurs simples ne se rappellent point sans attendrissement ces heures d’épanchement où les familles se rassemblaient autour des gâteaux qui retraçaient les présents des Mages. L’aïeul, retiré pendant le reste de l’année au fond de son appartement, reparaissait dans ce jour comme la divinité du foyer paternel. Ses petits-enfants, qui depuis longtemps ne rêvaient que la fête attendue, entouraient ses genoux et le rajeunissaient de leur jeunesse. Les fronts respiraient la gaieté, les cœurs étaient épanouis ; la salle du festin était merveilleusement décorée, et chacun prenait un vêtement nouveau. Au choc des verres, aux éclats de la joie, on tirait au sort ces royautés qui ne coûtaient ni soupirs ni larmes ; on se passait ces sceptres qui ne pesaient point dans la main de celui qui les portait. Souvent une fraude, qui redoublait l’allégresse des sujets et n’excitait que les plaintes de la souveraine, faisait tomber la fortune à la fille du lieu et au fils du voisin, dernièrement arrivé de l’armée. Les jeunes gens rougissaient, embarrassés qu’ils étaient de leur couronne ; les mères souriaient, et l’aïeul vidait sa coupe à la nouvelle reine.

Or, le curé présent à la fête recevait, pour la distribuer avec d’autres secours, cette première part appelée la part des pauvres. Des jeux de l’ancien temps, un bal dont quelque vieux serviteur était le premier musicien, prolongeaient les plaisirs, et la maison entière, nourrices, enfants, fermiers, domestiques et maîtres, dansaient ensemble la ronde antique.

Ces scènes se répétaient dans toute la chrétienté ; depuis le palais jusqu’à la chaumière, il n’y avait point de laboureur qui ne trouvât moyen d’accomplir ce jour-là le souhait du Béarnais. Et quelle succession de jours heureux ! Noël, le premier jour de l’an, la fête des Mages, les plaisirs qui précèdent la pénitence ! En ce temps-là les fermiers renouvelaient