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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/406

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Telle apparut Otaïti à Wallis, à Cook et à Bougainville. Mais, en approchant de ces rivages, ils distinguèrent quelques monuments des arts, qui se mariaient à ceux de la nature : c’étaient les poteaux des moraï. Vanité des plaisirs des hommes ! Le premier pavillon qu’on découvre sur ces rives enchantées est celui de la mort, qui flotte au-dessus de toutes les félicités humaines.

Donc ne pensons pas que ces lieux où l’on ne trouve au premier coup d’œil qu’une vie insensée, soient étrangers à ces sentiments graves, nécessaires à tous les hommes. Les Otaïtiens, comme les autres peuples, ont des rites religieux et des cérémonies funèbres ; ils ont surtout attaché une grande pensée de mystère à la mort. Lorsqu’on porte un esclave au moraï, tout le monde fuit sur son passage ; le maître de la pompe murmure alors quelques mots à l’oreille du décédé. Arrivé au lieu du repos, on ne descend point le corps dans la terre, mais on le suspend dans un berceau qu’on recouvre d’un canot renversé, symbole du naufrage de la vie. Quelquefois une femme vient gémir auprès du moraï ; elle s’assied les pieds dans la mer, la tête baissée, et ses cheveux retombant sur son visage : les vagues accompagnent le chant de sa douleur, et sa voix monte vers le Tout-Puissant avec la voix du tombeau et celle de l’océan Pacifique.


Chapitre VI - Tombeaux chrétiens

En parlant du sépulcre dans notre religion, le ton s’élève et la voix se fortifie : on sent que c’est là le vrai tombeau de l’homme. Le monument de l’idolâtre ne vous entretient que du passé ; celui du chrétien ne vous parle que de l’avenir. Le christianisme a toujours fait en tout le mieux possible ; jamais il n’a eu de ces demi-conceptions si fréquentes dans les autres cultes. Ainsi, par rapport aux sépulcres, négligeant les idées intermédiaires, qui tiennent aux accidents et aux lieux, il s’est distingué des autres religions par une coutume sublime ; il a placé la cendre des fidèles dans l’ombre des temples du Seigneur, et déposé les morts dans le sein du Dieu vivant.

Lycurgue n’avait pas craint d’établir les tombeaux au milieu de Lacédémone ; il avait pensé, comme notre religion, que la cendre des pères, loin d’abréger les jours des fils, prolonge en effet leur existence, en leur enseignant la modération et la vertu, qui conduisent à