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loi, connue très-anciennement dans l’Église[1], mais fixée par le concile de Trente, a été trouvée si belle, que le code françois, en rejetant la totalité du concile, n’a pas laissé de recevoir le canon.

Au reste, les empêchements de mariage de parent à parent, si multipliés par l’Église, outre leurs raisons morales et spirituelles, tendent politiquement à diviser les propriétés et à empêcher qu’à la longue tous les biens de l’État ne s’accumulent sur quelques têtes.

L’Église a conservé les fiançailles, qui remontent à une grande antiquité. Aulu-Gelle nous apprend qu’elles furent connues du peuple du Latium[2] ; les Romains les adoptèrent[3] ; les Grecs les ont suivies ; elles étaient en honneur sous l’ancienne alliance ; et dans la nouvelle, Joseph fut fiancé à Marie. L’intention de cette coutume est de laisser aux deux époux le temps de se connoître avant de s’unir[4].

Dans nos campagnes, les fiançailles se montroient encore avec leurs grâces antiques. Par une belle matinée du mois d’août, un jeune paysan venait chercher sa prétendue à la ferme de son futur beau-père. Deux ménétriers, rappelant nos anciens minstrels, ouvroient la pompe en jouant sur leurs violons des romances du temps de la chevalerie ou des cantiques des pèlerins. Les siècles, sortis de leurs tombeaux gothiques, sembloient accompagner cette jeunesse avec leurs vieilles mœurs et leurs vieux souvenirs. L’épousée recevoit du curé la bénédiction des fiançailles, et déposoit sur l’autel une quenouille entourée de rubans. On retournoit ensuite à la ferme ; la dame et le seigneur du lieu, le curé et le juge du village s’asseyoient avec les futurs époux, les laboureurs et les matrones, autour d’une table où étoient servis le verrat d’Eumée et le veau gras des patriarches. La fête se terminoit par une ronde dans la grange voisine ; la demoiselle du château dansoit, au son de la musette, une ballade avec le fiancé, tandis que les spectateurs étoient assis sur la gerbe nouvelle, avec les souvenirs des filles de Jéthro, des moissonneurs de Booz et des fiançailles de Jacob et de Rachel.

La publication des bans suit les fiançailles. Cette excellente coutume, ignorée de l’antiquité, est entièrement due à l’Église. Il faut la reporter au delà du XIVe siècle, puisqu’il en est fait mention dans une décrétale du pape Innocent III. Le même pape l’a transformée en règle générale dans le concile de Latran ; le concile de Trente l’a renouvelée,

  1. Conc. Anc., cap. ult., an. 304.
  2. Noct. Act., lib. IV, cap. IV.
  3. L. 2, ff., de Spons.
  4. Saint Augustin en rapporte une raison aimable : Constitutum est ut jam pactæ sponsœ non statim tradantur, ne vilem habeat maritus datam, quam non suspiraverit sponsus dilatam.