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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/461

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Il nous semble qu’on n’a qu’un désir en lisant cette histoire, c’est celui de passer les mers et d’aller, loin des troubles et des révolutions, chercher une vie obscure dans les cabanes de ces sauvages et un paisible tombeau sous les palmiers de leurs cimetières. Mais ni les déserts ne sont assez profonds, ni les mers assez vastes pour dérober l’homme aux douleurs qui le poursuivent. Toutes les fois qu’on fait le tableau de la félicité d’un peuple, il faut toujours en venir à la catastrophe : au milieu des peintures les plus riantes, le cœur de l’écrivain est serré par cette réflexion qui se présente sans cesse : Tout cela n’existe plus. Les missions du Paraguay sont détruites ; les sauvages, rassemblés avec tant de fatigues, sont errants de nouveau dans les bois, ou plongés vivants dans les entrailles de la terre. On a applaudi à la destruction d’un des plus beaux ouvrages qui fût sorti de la main des hommes. C’était une création du christianisme, une moisson engraissée du sang des apôtres : elle ne méritait que haine et mépris ! Cependant, alors même que nous triomphions en voyant des Indiens retomber au Nouveau Monde dans la servitude, tout retentissait en Europe du bruit de notre philanthropie et de notre amour de liberté. Ces honteuses variations de la nature humaine, selon qu’elle est agitée de passions contraires, flétrissent l’âme et rendraient méchant, si on y arrêtait trop longtemps les yeux. Disons donc plutôt que nous sommes faibles et que les voies de Dieu sont profondes, et qu’il se plaît à exercer ses serviteurs. Tandis que nous gémissons ici, les simples chrétiens du Paraguay, maintenant ensevelis dans les mines du Potose, adorent sans doute la main qui les a frappés, et par des souffrances patiemment supportées ils acquièrent une place dans cette république des saints qui est à l’abri des persécutions des hommes.


Chapitre VI - Missions de la Guyane

Si ces missions étonnent par leurs grandeurs, il en est d’autres qui pour être ignorées n’en sont pas moins touchantes. C’est souvent dans la cabane obscure et sur la tombe du pauvre que le Roi des rois aime à déployer les richesses de sa grâce et de ses miracles. En remontant vers le nord, depuis le Paraguay jusqu’au fond du Canada, on rencontrait une foule de petites missions où le néophyte ne s’était pas civilisé pour s’attacher à l’apôtre, mais où l’apôtre s’était fait sauvage pour suivre le néophyte. Les religieux français étaient à la tête de ces