Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/487

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Charles VI Sampi et Boucicault soutinrent seuls les défis que les vainqueurs leur portaient de toutes parts ; et, joignant la générosité à la valeur, ils rendaient les chevaux et les armes aux téméraires qui les avaient appelés en champ clos.

Le roi voulait empêcher ses chevaliers de relever le gant et de ressentir ces insultes particulières. Mais ils lui dirent : " Sire, l’honneur de la France est si naturellement cher à ses enfants que si le diable lui-même sortait de l’enfer pour un défi de valeur, il se trouverait des gens pour le combattre. "

" Et en ce temps aussi, dit un historien, estoient chevaliers d’Espagne et de Portugal, dont trois de Portugal, bien renommés de chevalerie, prindrent, par je ne sais quelle folle entreprinse, champ de bataillé encontre trois chevaliers de France ; mais, en bonne vérité de Dieu, ils ne mirent pas tant de temps à aller de la porte Saint-Martin à la porte Saint-Antoine à cheval que les Portugallois ne fussent déconfits par les trois Français[1]. "

Les seuls champions qui pussent tenir devant les chevaliers de France étaient les chevaliers d’Angleterre. Et ils avaient de plus pour eux la fortune, car nous nous déchirions alors de nos propres mains. La bataille de Poitiers, si funeste à la France, fut encore honorable à la chevalerie. Le prince Noir, qui ne voulut jamais, par respect, s’asseoir à la table du roi Jean, son prisonnier, lui dit : " Il m’est advis que avez grand raison de vous eliesser, combien que la journée ne soit tournée à votre gré ; car vous avez aujourd’huy conquis le haut nom de prouësse, et avez passé aujourd’huy tous les mieux faisants de votre costé : je ne le die mie, cher sire, pour vous louer, car tous ceux de nostre patrie qui ont veu les uns et les autres se sont par pleine conscience à ce accordez, et vous en donnent le prix et chapelet. "

Le chevalier de Ribaumont, dans une action qui se passait aux portes de Calais, abattit deux fois à ses genoux Edouard III, roi d’Angleterre ; mais le monarque, se relevant toujours, força enfin Ribaumont à lui rendre son épée. Les Anglais, étant demeurés vainqueurs, rentrèrent dans la ville avec leurs prisonniers. Edouard, accompagné du prince de Galles, donna un grand repas aux chevaliers français, et, s’approchant de Ribaumont, il lui dit : " Vous êtes le chevalier au monde que je visse oncques plus vaillamment assaillir ses ennemis. Adonc print le roi son chapelet qu’il portoit sur son chef (qui étoit bon et riche) et le mit sur le chef de monseigneur Eustache, et dit :

  1. Journal de Paris, sous Charles VI et VII. (N.d.A.)