Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/53

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quand on les sépare de Dieu, et qu’on les veut prendre dans leurs simples rapports moraux, touchent de près aux plus grands vices. Si les philosophes avoient fait cette observation, ils ne se seroient pas tant donné de peine pour fixer les limites du bien et du mal. Le christianisme n’a pas eu besoin, comme Aristote, d’inventer une échelle, pour y placer ingénieusement une vertu entre deux vices : il a tranché la difficulté d’une manière sûre, en nous montrant que les vertus ne sont des vertus qu’autant qu’elles refluent vers leur source, c’est-à-dire vers Dieu.

Cette vérité nous restera assurée si nous appliquons la foi à ces mêmes affaires humaines, mais en la faisant survenir par l’entremise des idées religieuses. De la foi vont naître les vertus de la société, puisqu’il est vrai, du consentement unanime des sages, que le dogme qui commande de croire en un Dieu rémunérateur et vengeur est le plus ferme soutien de la morale et de la politique.

Enfin, si vous employez la foi à son véritable usage[1], si vous la tournez entièrement vers le Créateur, si vous en faites l’œil intellectuel par qui vous découvrez les merveilles de la Cité sainte et l’empire des existences réelles, si elle sert d’ailes à votre âme pour vous élever au-dessus des peines de la vie, vous reconnoîtrez que les livres saints n’ont pas trop exalté cette vertu, lorsqu’ils ont parlé des prodiges qu’on peut faire avec elle. Foi céleste ! foi consolatrice ! tu fais plus que de transporter les montagnes, tu soulèves les poids accablants qui pèsent sur le corps de l’homme.


CHAPITRE III.

De l’Espérance et de la Charité



L’Espérance, seconde vertu théologale, a presque la même force que la foi ; le désir est le père de la puissance : quiconque désire fortement obtient. « Cherchez, a dit Jésus-Christ, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. » Pythagore disoit, dans le même sens : La puissance habite auprès de la nécessité : car nécessité implique privation, et la privation marche avec le désir. Père de la puissance, le désir ou l’espérance est un véritable génie ; il a cette virilité qui enfante et cette soif qui ne s’éteint jamais. Un homme se voit-il trompé dans ses projets, c’est qu’il n’a pas désiré avec ardeur ; c’est qu’il a manqué de

  1. Voyez la note IV, à la fin du volume.