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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/91

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la naissance d’un monde : chaque minute est en soi une petite éternité. Réunissez donc en un même moment, par la pensée, les plus beaux accidents de la nature ; supposez que vous voyez à la fois toutes les heures du jour et toutes les saisons, un matin de printemps et un matin d’automne, une nuit semée d’étoiles et une nuit couverte de nuages, des prairies émaillées de fleurs, des forêts dépouillées par les frimas, des champs dorés par les moissons : vous aurez alors une idée juste du spectacle de l’univers. Tandis que vous admirez ce soleil qui se plonge sous les voûtes de l’occident, un autre observateur le regarde sortir des régions de l’aurore. Par quelle inconcevable magie ce vieil astre qui s’endort fatigué et brûlant dans la poudre du soir est-il en ce moment même ce jeune astre qui s’éveille humide de rosée dans les voiles blanchissantes de l’aube ? À chaque moment de la journée le soleil se lève, brille à son zénith, et se couche sur le monde ; ou plutôt nos sens nous abusent, et il n’y a ni orient, ni midi, ni occident vrai. Tout se réduit à un point fixe d’où le flambeau du jour fait éclater à la fois trois lumières en une seule substance. Cette triple splendeur est peut-être ce que la nature a de plus beau ; car en nous donnant l’idée de la perpétuelle magnificence et de la toute-puissance de Dieu, elle nous montre aussi une image éclatante de sa glorieuse Trinité.

Conçoit-on bien ce que seroit une scène de la nature si elle étoit abandonnée au seul mouvement de la matière ? Les nuages, obéissant aux lois de la pesanteur, tomberoient perpendiculairement sur la terre, ou monteroient en pyramides dans les airs ; l’instant d’après, l’atmosphère seroit trop épaisse ou trop raréfiée pour les organes de la respiration. La lune, trop près ou trop loin de nous, tour à tour seroit invisible, tour à tour se montreroit sanglante, couverte de taches énormes ou remplissant seule de son orbe démesuré le dôme céleste. Saisie comme d’une étrange folie, elle marcheroit d’éclipse en éclipse, ou, se roulant d’un flanc sur l’autre, elle découvriroit enfin cette autre face que la terre ne connoît pas. Les étoiles sembleroient frappées du même vertige ; ce ne seroit plus qu’une suite de conjonctions effrayantes : tout à coup un signe d’été seroit atteint par un signe d’hiver, le Bouvier conduiroit les Pléiades, et le Lion rugiroit dans le Verseau ; là des astres passeroient avec la rapidité de l’éclair, ici ils pendroient immobiles ; quelquefois, se pressant en groupes, ils formeroient une nouvelle voie lactée, puis, disparoissant tous ensemble et déchirant le rideau des mondes, selon l’expression de Tertullien, ils laisseroient apercevoir les abîmes de l’éternité.

Mais de pareils spectacles n’épouvanteront point les hommes avant