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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/98

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Ceux qui cherchent à déshériter l’homme, à lui arracher l’empire de la nature, voudroient bien prouver que rien n’est fait pour nous. Or, le chant des oiseaux, par exemple, est tellement commandé pour notre oreille, qu’on a beau persécuter les hôtes des bois, ravir leurs nids, les poursuivre, les blesser avec des armes ou dans des pièges, on peut les remplir de douleur, mais on ne peut les forcer au silence. En dépit de nous, il faut qu’ils nous charment, il faut qu’ils accomplissent l’ordre de la Providence. Esclaves dans nos maisons, ils multiplient leurs accords : il y a sans doute quelque harmonie cachée dans le malheur, car tous les infortunés sont enclins au chant. Enfin que des oiseleurs, par un raffinement barbare, crèvent les yeux à un rossignol, sa voix n’en devient que plus harmonieuse. Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue. « Démodocus, dit le poëte de Chio, en se peignant sous les traits du chantre des Phéaciens, étoit le favori de la muse ; mais elle avoit mêlé pour lui le bien et le mal, et l’avoit rendu aveugle en lui donnant la douceur des chants. »


Τὸν περὶ μοῦσ’ ἐφίλησε, δίδου δ’ ἀγαθόν τε, κακόν τε.
Ὀφθαλμῶν μὲν ἄμηρσε δίδου δ’ ἡδεῖαν ἀοιδήν.


L’oiseau semble le véritable emblème du chrétien ici-bas : il préfère, comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.

Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux qui, ce nous semble, n’ont point encore été observées, et qui mériteroient bien de l’être. Le divers langage des hôtes du désert nous paroît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent et sur l’heure du jour à laquelle ils se montrent. Le rugissement du lion, fort, sec, âpre, est en harmonie avec les sables embrasés où il se fait entendre ; tandis que le mugissement de nos bœufs charme les échos champêtres de nos vallées ; la chèvre a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix, comme les rochers et les ruines où elle aime à se suspendre ; le cheval belliqueux imite les sons grêles du clairon, et, comme s’il sentoit qu’il n’est point fait pour les soins rustiques, il se tait sous l’aiguillon du laboureur et hennit sous le frein du guerrier. La nuit, tour à tour charmante et sinistre, a le rossignol et le hibou : l’un chante pour le zéphyr, les bocages, la lune, les amants ; l’autre pour les vents, les vieilles forêts, les ténèbres et les morts. Enfin, presque tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier, qui ressemble à celui de leurs victimes : l’épervier glapit comme le lapin et miaule