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112 RÉVOLUTIONS ANCIENNES.

plus innocents que la brebis qu'on égorge , et plus féroces que le tigre qui déchire les entrailles

çois. Les premiers s'attirèrent, par ce défaut, la haine de la Grèce, la guerre du Péloponèse , et mille troubles ; et c'est ce qui a valu aux seconds la même haine du reste de l'Europe , et les a fait chasser plus d'une fois de leurs conquêtes. Il est assez curieux de remarquer, sur les anciennes médailles d'Athènes, ce carac- tère général de la nation imprimé sur des fronts particuliers. On retrouve aussi le même trait parmi mes compatriotes. Il n'y a personne qui n'ait rencontré en France dans la société de ces hommes dont les yeux pétillent d'ironie , qui vous répondent à peine en souriant , et affectent les airs de la plus haute supério- rité. Combien ils doivent paroître haïssables au modeste étranger qu'ils insultent ainsi de leurs regards ! Ce qu'il y a de déplorable , c'est que ces mêmes hommes ne portent que trop souvent sur leur figure, la marque indélébile de la médiocrité. Ils seroient bien punis , s'ils se doutoient seulement de la pitié qu'ils vous font , ou s'ils pouvoient lire dans le fond de votre âme l'humi- liant « Comme je te vois ! Comme je te mesure ! »

L'art de la physionomie offre d'excellentes études , à qui vou- drait s'y livrer. Notre siècle raisonneur a trop dédaigné cette source inépuisable d'instructions. Toute l'antiquité a cru à la vé- rité de cette science , et Lavater l'a portée de nos jours à une perfection inconnue. La vérité est que la plupart des hommes la rejettent , parce qu'ils s'en trouveroient mal. Nous pourrions du moins porter son flambeau dans l'histoire. Je m'en suis servi souvent avec succès dans cette partie. Quelquefois aussi je me suis plù à descendre dans le cœur de mes contemporains. J'aime à aller m'asseoir, pour ces espèces d'observations , dans quelque coin obscur d'une promenade publique , d'où je considère furti- vement les personnes qui passent autour de moi. Ici, sur un front à demi ridé , dans ces yeux couverts d'un nuage , sur cette bouche un peu entr'ouverte , je lis les chagrins cachés de cet homme qui essaie de sourire à la société ; là , je vois sur la lèvre inférieure de cet autre , sur les deux rides descendantes des na- rines , le mépris et la connoissance des hommes percer à travers

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