Page:Chateaubriand - Œuvres complètes t1.djvu/81

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préjugés et les intérêts qui peuvent le diriger sans qu’il s’en aperçoive. Si malgré tout cela il se sent assez de force pour dire la vérité, qu’il la dise ; mais, s’il se sent foible, qu’il se taise. Si celui qui écrit sur les affaires présentes ne peut être lu également au Directoire et aux conseils des Rois, il a fait un livre inutile ; s’il a du talent, il a fait pis, il a fait un livre pernicieux. Le mal, le grand mal, c’est que nous ne sommes point de notre siècle. Chaque âge est un fleuve, qui nous entraîne selon le penchant des destinées quand nous nous y abandonnons. Mais il me semble que nous sommes tous hors de son cours. Les uns ( les républicains ) l’ont traversé avec impétuosité, et se sont élancés sur le bord opposé. Les autres sont demeurés de ce côté-ci sans vouloir s’embarquer. Les deux partis crient et s’insultent , selon qu’ils sont sur l’une ou sur l’autre rive. Ainsi, les premiers nous transportent loin de nous dans des perfections imaginaires, en nous

plus antipathique à mon esprit ; que ma disposition habituelle sur mes ouvrages n’est pas de l’orgueil, mais une indifférence que je pousse peut-être trop loin. Au reste j’avois été averti par mon instinct que cette manière n’étoit pas la mienne : on trouve dans la Notice ou Préface de l’ancienne édition , des excuses peut-être assez touchantes de l’emploi que j’avois fait du moi.

Nouv. Ed.