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Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/105

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— Oui, oui ! » répétèrent mille voix. Celle de Chactas, dans ce moment de passion, ne fut point écoutée.

— Voulez-vous faire, reprit Ondouré, ce que j’ordonnerai pour votre salut ?

— Parlez, nous vous obéirons ! s’écria de nouveau l’assemblée.

— Eh bien ! dit Ondouré, rentrez dans vos cabanes ; ne montrez aucun ressentiment, ayez l’air soumis, supportez de nouvelles injustices, et je vous promets… Mais il n’est pas temps de parler. Je découvrirai au grand-prêtre ce qu’Athaënsic m’a inspiré. Oui, Natchez, Athaënsic m’est apparue dans la vallée ! ses yeux étaient deux flammes ; ses cheveux flottaient dans les airs comme les rayons du soleil à travers les nuages de la tempête ; tout son corps était quelque chose d’immense et d’indéfinissable ; on ne pouvait la voir sans ressentir les terreurs de la mort. « Délivre la patrie, m’a-t-elle dit ; concerte toute chose avec le serviteur de mes autels. · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·  » Alors l’esprit m’a révélé ce que je devais d’abord apprendre au seul jongleur : ce sont des mystères redoutables.

L’assemblée frémit Le grand-prêtre s’écria : « N’en doutons point, Athaënsic a remis sa puissance à Ondouré. Guerriers, le tuteur du Soleil vous commande par ma voix de vous séparer. Retirez-vous, et reposez-vous sur le ciel du soin de votre vengeance. »

À ces mots les sauvages se dispersèrent, pleins d’une horreur religieuse qu’augmentaient l’ombre et le calme des forêts.

Ondouré ne désirait point armer dans ce moment les Natchez contre les Français : ils n’étaient pas assez forts pour triompher, et tout se serait réduit à une action aussi peu décisive que la première. Ce n’était pas d’ailleurs un combat ouvert et loyal que voulait le sauvage ; il prétendait porter un coup plus sûr, mais plus ténébreux. Or, tout n’était pas préparé, et le jour où le complot pouvait éclater avec succès était encore loin.

L’amant dédaigné de Céluta avait fait de l’absence de son rival un nouveau moyen de calomnie : non content de perdre René dans l’opinion des Natchez, il le faisait chercher de toutes parts pour le livrer aux Français. Avec un dessein bien différent, Céluta s’était empressée de suivre les traces de son époux, mais elle avait en vain interrogé les rochers et les bruyères. Elle sortait de sa cabane, elle y revenait, dans la crainte que René n’y fût rentré par un autre chemin : quelquefois elle songeait à se rendre au fort Rosalie, se figurant que l’objet de sa tendresse y avait déjà été conduit ; quelquefois elle s’asseyait au carrefour d’un bois, et ses regards s’enfonçaient dans les divers sentiers qui se déroulaient sous l’ombrage ; elle n’osait appeler René, de peur de le trahir par les sons mêmes de sa voix. Amélie ne quittait point les bras maternels, et Céluta retrouvait des forces en pleurant sur ce cher témoin de sa douleur.

Outougamiz, toujours inspiré quand il s’agissait des périls de son ami, avait été plus heureux que sa sœur ; depuis longtemps il s’était aperçu que le frère d’Amélie aimait à diriger ses pas vers une colline qui bordait le Meschacebé, et dans le flanc de laquelle s’ouvrait une grotte funèbre : il commença ses recherches de ce côté. Un autre instinct conduisit Mila au même lieu : la colombe au loin transportée trouve, à travers les champs de l’air, le chemin qui la ramène à sa compagne.

Les deux fidèles messagers se rencontrèrent à l’entrée de la grotte. « Qui t’amène ici ? » dit Mila à Outougamiz.

« Mon génie, répondit le sauvage ; et il montrait la chaîne d’or. Et toi, Mila, qui t’a conduite de ce côté ?

— Je n’en sais rien, répliqua l’Indienne ; quelque chose qui est peut-être la femme de ton génie. Tu verras que nous avons deviné, et que le guerrier blanc est ici. »

En effet, ils aperçurent René assis en face du fleuve, sous la voûte de la caverne : on voyait auprès de lui un livre, des fruits, du maïs et des armes. Cette caverne était un lieu redouté des Natchez : ils y avaient déposé une partie des os de leurs pères. On racontait qu’un esprit de la tombe veillait jour et nuit à cette demeure.

« Oh ! s’écria Mila, j’aurais bien peur si le guerrier blanc n’était ici. »

Etonné de l’apparition de son frère et de la jeune Indienne, René crut qu’ils s’étaient donné rendez-vous dans ce sanctuaire propre à recevoir un serment ; et comme il appelait leur union de tous ses vœux, il fut charmé de cette rencontre.

Outougamiz et Mila ne dirent rien au frère d’Amélie du véritable objet de leur descente à la grotte : tant les cœurs naïfs deviennent intelligents quand il s’agit de ce qu’ils aiment ! Ils comprirent que s’ils révélaient à René les périls dont il était menacé, loin de pouvoir l’arrêter, il échapperait à leur tendresse. Le couple ingénu laissa donc l’homme blanc croire ce qu’il voudrait croire, et ne songea qu’à le retenir dans cette retraite par le charme d’un entretien amical.

Le frère de Céluta ignorait ce qui s’était passé aux Natchez : il supposait qu’Adario se serait éloigné avec Chactas, jusqu’au moment où les enfants du Soleil pourraient venger leur injure. Outougamiz eût désiré calmer les inquiétudes de sa sœur, mais