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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Enfermés le soir sous la même clé dans leur cité, les Malouins ne composaient qu’une famille. Les mœurs étaient si candides que de jeunes femmes qui faisaient venir des rubans et des gazes de Paris, passaient pour des mondaines dont leurs compagnes effarouchées se séparaient. Une faiblesse était une chose inouïe : une comtesse d’Abbeville ayant été soupçonnée, il en résulta une complainte que l’on chantait en se signant. Cependant le poète, fidèle malgré lui aux traditions des troubadours, prenait parti contre le mari qu’il appelait un monstre barbare.

Certains jours de l’année, les habitants de la ville et de la campagne se rencontraient à des foires appelées assemblées, qui se tenaient dans les îles et sur des forts autour de Saint-Malo ; ils s’y rendaient à pied quand la mer était basse, en bateau lorsqu’elle était haute. La multitude de matelots et de paysans ; les charrettes entoilées ; les caravanes de chevaux, d’ânes et de mulets ; le concours des marchands ; les tentes plantées sur le rivage ; les processions de moines et de confréries qui serpentaient avec leurs bannières et leurs croix au milieu de la foule ; les chaloupes allant et venant à la rame ou à la voile ; les vaisseaux entrant au port, ou mouillant en rade ; les salves d’artillerie, le branle des cloches, tout contribuait à répandre dans ces réunions le bruit, le mouvement et la variété.

J’étais le seul témoin de ces fêtes qui n’en partageât pas la joie. J’y paraissais sans argent pour acheter des jouets et des gâteaux. Évitant le mépris qui s’attache à la mauvaise fortune, je m’asseyais loin de la foule, auprès de ces flaques d’eau que la mer entretient et renouvelle dans les concavités des rochers. Là, je