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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

jourd’hui sur les quatre heures de l’après-midi, soit demain à neuf heures du matin. »


C’était un ordre de m’éloigner de Paris que M. le préfet de police voulait me signifier. Je me suis retiré à Dieppe, qui porta d’abord le nom de Bertheville, et fut ensuite appelé Dieppe, il y a déjà plus de quatre cents ans, du mot anglais deep, profond (mouillage). En 1788, je tins garnison ici avec le second bataillon de mon régiment : habiter cette ville, de brique dans ses maisons, d’ivoire dans ses boutiques, cette ville à rues propres et à belle lumière, c’était me réfugier auprès de ma jeunesse. Quand je me promenais, je rencontrais les ruines du château d’Arques, que mille débris accompagnent. On n’a point oublié que Dieppe fut la patrie de Duquesne. Lorsque je restais chez moi, j’avais pour spectacle la mer ; de la table où j’étais assis, je contemplais cette mer qui m’a vu naître, et qui baigne les côtes de la Grande-Bretagne, où j’ai subi un si long exil : mes regards parcouraient les vagues qui me portèrent en Amérique, me rejetèrent en Europe et me reportèrent aux rivages de l’Afrique et de l’Asie. Salut, ô mer, mon berceau et mon image ! Je te veux raconter la suite de mon histoire : si je mens, tes flots, mêlés à tous mes jours, m’accuseront d’imposture chez les hommes à venir.

Ma mère n’avait cessé de désirer qu’on me donnât une éducation classique. L’état de marin auquel on me destinait « ne serait peut-être pas de mon goût », disait-elle ; il lui semblait bon à tout événement de me rendre capable de suivre une autre carrière. Sa piété la portait à souhaiter que je me décidasse pour