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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Il ouvre mes rideaux, me tâte le pouls, me fait tirer la langue, baragouine avec un accent italien quelques mots sur la nécessité de me purger, et me donne à manger un petit morceau de caramel. Mon père approuvait l’affaire, car il prétendait que toute maladie venait d’indigestion, et que pour toute espèce de maux il fallait purger son homme jusqu’au sang.

Une demi-heure après avoir avalé le caramel, je fus pris de vomissements effroyables ; on avertit M. de Chateaubriand, qui voulait faire sauter le pauvre diable par la fenêtre de la tour. Celui-ci, épouvanté, met habit bas, retrousse les manches de sa chemise en faisant les gestes les plus grotesques. À chaque mouvement, sa perruque tournait en tous sens ; il répétait mes cris et ajoutait après « Che ? monsou Lavandier ! » Ce monsieur Lavandier était le pharmacien du village[1], qu’on avait appelé au secours. Je ne savais, au milieu de mes douleurs, si je mourrais des drogues de cet homme ou des éclats de rire qu’il m’arrachait.

On arrêta les effets de cette trop forte dose d’émétique, et je fus remis sur pied. Toute notre vie se passe à errer autour de notre tombe ; nos diverses maladies sont des souffles qui nous approchent plus ou moins du port. Le premier mort que j’aie vu était un chanoine de Saint-Malo ; il gisait expiré sur son lit, le visage distors par les dernières convulsions. La mort est belle, elle est notre amie : néanmoins,

  1. Maître Noël Le Lavandier, apothicaire, marié à Dingé, près de Combourg, le 7 juillet 1751, était originaire de la paroisse de Vieuvel, où sa famille, venue de Normandie, s’était établie au xviie siècle.