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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

parfumés que saint Clément défend aux premières chrétiennes. Saint Basile veut que le milieu de la nuit soit pour le solitaire ce que le matin est pour les autres, afin de profiter du silence de la nature. Ce milieu de la nuit était l’heure où Julie allait à des fêtes dont ses vers, accentués par elle avec une merveilleuse euphonie, faisaient la principale séduction.

Julie était infiniment plus jolie que Lucile ; elle avait des yeux bleus caressants et des cheveux bruns à gaufrures ou à grandes ondes. Ses mains et ses bras, modèles de blancheur et de forme, ajoutaient par leurs mouvements gracieux quelque chose de plus charmant encore à sa taille charmante. Elle était brillante, animée, riait beaucoup sans affectation, et montrait en riant des dents perlées. Une foule de portraits de femmes du temps de Louis XIV ressemblaient à Julie, entre autres ceux des trois Mortemart ; mais elle avait plus d’élégance que madame de Montespan.

Julie me reçut avec cette tendresse qui n’appartient qu’à une sœur. Je me sentis protégé en étant serré dans ses bras, ses rubans, son bouquet de roses et ses dentelles. Rien ne remplace l’attachement, la délicatesse et le dévouement d’une femme ; on est oublié de ses frères et de ses amis ; on est méconnu de ses compagnons : on ne l’est jamais de sa mère, de sa sœur ou de sa femme. Quand Harold fut tué à la bataille d’Hastings, personne ne le pouvait indiquer dans la foule des morts ; il fallut avoir recours à une jeune fille, sa bien-aimée. Elle vint, et l’infortuné prince fut retrouvé par Édith au cou de cygne : « Editha swaneshales, quod sonat collum cycni.  »