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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Il me semble, dis-je, que le diable ne va pas bien vite. »

Mais madame de Chateaubriand me prouva que je n’y entendais rien : elle était charmante, ma mère.

Elle avait une longue complainte sur le Récit véritable d’une cane sauvage, en la ville de Montfort-la-Cane-lez-Saint-Malo. Certain seigneur avait renfermé une jeune fille d’une grande beauté dans le château de Montfort, à dessein de lui ravir l’honneur. À travers une lucarne, elle apercevait l’église de Saint-Nicolas ; elle pria le saint avec des yeux pleins de larmes, et elle fut miraculeusement transportée hors du château ; mais elle tomba entre les mains des serviteurs du félon, qui voulurent en user avec elle comme ils supposaient qu’en avait fait leur maître. La pauvre fille éperdue, regardant de tous côtés pour chercher quelque secours, n’aperçut que des canes sauvages sur l’étang du château. Renouvelant sa prière à saint Nicolas, elle le supplia de permettre à ces animaux d’être témoins de son innocence, afin que si elle devait perdre la vie, et qu’elle ne pût accomplir les vœux qu’elle avait faits à saint Nicolas, les oiseaux les remplissent eux-mêmes à leur façon, en son nom et pour sa personne.

La fille mourut dans l’année : voici qu’à la translation des os de saint Nicolas, le 9 mai, une cane sauvage, accompagnée de ses petits canetons, vint à l’église de Saint-Nicolas. Elle y entra et voltigea devant l’image du bienheureux libérateur, pour lui applaudir par le battement de ses ailes ; après quoi, elle retourna à l’étang, ayant laissé un de ses petits en offrande. Quelque temps après, le caneton s’en re-